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bout d’un quart d’heure. Accroché au flanc d’une montagne à pic haute de 600 mètres, avec son unique rue tortueuse, plus raide qu’une échelle, son pavé d’un nouveau genre, où les quartiers de roc s’espacent en manière de marches, ses maisons lézardées dégringolant, dévalant, si bien que les pieds de l’une pèsent sur le toit de l’autre, il semble toujours près de tomber dans l’abîme. De propreté, il n’en faut point parler ; la disposition folle des lieux rendrait inutiles les prescriptions les plus élémentaires de la voirie ; la rue n’est guère nettoyée que les jours de pluie, mais alors elle devient le lit d’un torrent terrible, et malheur à celui qui voudrait s’aventurer au dehors. Partout dans l’air flottent ces senteurs si particulières où l’odeur du poisson frais s’allie avec les vapeurs de l’huile qui sert à frire l’escabeche. Le port petit, mais commode, construit en 1783, tire toute son importance de la pêche et des industries qui s’y rattachent. Péniblement je remontais la longue rue du village quand je remarquai au pas d’une porte une pauvre vieille toute courbée qui demandait l’aumône ; les mendians originaires du pays même sont fort rares dans les provinces parce que tout le monde y travaille et que chaque municipalité vient en aide à ses malheureux. Une charmante jeune femme, aux lèvres rieuses, était accourue : je la vis tirer de sa poche une petite pièce de cuivre, la baiser et la remettre à la vieille ; celle-ci prit l’aumône, fit d’abord avec elle dévotement le signe de la croix, puis la baisa à son tour. Tel est l’usage du pays basque, et ne semble-t-il pas rendre la charité encore plus touchante ?

Pour gagner Lequeitio, laissant à gauche le petit port d’Ea, on coupe au plus court par les montagnes, la plupart couvertes de bois ; la mer ne s’aperçoit plus que par échappées, au bout des vallées étranglées qui sillonnent la chaîne. Le nom de Lequeitio est depuis longtemps fameux dans les annales maritimes de la Vizcaye. De là sont sortis ces vaillans marins qui, avec les fils d’Ondarroa, de Bermeo, de Plencia, de Portugalete, osèrent les premiers, sur leurs frêles navires, s’attaquer corps à corps à l’énorme baleine ; puis, quand le monstre des mers, chassé des côtes cantabriques, remonta vers le nord, lancés à sa poursuite, ils visitèrent successivement l’Ecosse, la Norvège, le Groenland, et touchèrent à des terres encore inconnues aux autres peuples de l’Europe. Du reste jusqu’au milieu du XVIIe siècle on tua des baleines dans les eaux voisines de Lequeitio ; ainsi l’attestent des documens fort curieux conservés dans les archives de la ville : aussi porte-t-elle dans ses armes, comme Bermeo, une chaloupe à rames lançant le harpon sur une baleine. Mais la pêche ne suffisait pas à occuper l’ardeur de ces vaillans : les marins de Vizcaye prirent part à tous les voyages de découvertes accomplis dans les Indes occidentales ou sur les côtes