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arrivent cinq ou six personnes, portant chapeau et redingote : ce sont les fabricans de conserves et d’escabeche (poisson mariné), puis des femmes, leur journée finie, les enfans sortis de l’école. On va procéder à la vente du poisson. Les pêcheurs de Bermeo, comme de plusieurs autres points de la côte, forment de temps immémorial une confrérie ayant à sa tête un administrateur et une junte syndicale. L’exercice de la pêche est lui-même réglé par un certain nombre de patrons choisis à l’élection : au cas où la mer est trop forte, la barque señora lève une rame en l’air, et personne après ce signal n’a le droit de sortir du port sous peine d’une forte amende. Chaque jour l’administrateur de la confrérie s’occupe de la vente du poisson, qui a lieu en commun aux enchères publiques : sur le produit on prélève une certaine part destinée au fonds de réserve de la société ; le reste est divisé entre les équipages proportionnellement à la quantité de poisson que chacun a rapporté et au prix moyen qu’a atteint la vente. Parfois, à cause des mauvais temps si fréquens sur cette mer rageuse, les barques ne peuvent sortir de plusieurs jours, et les pauvres marins se trouveraient en grand embarras si la confrérie ne les secourait par une répartition d’argent extraordinaire, dite partage de miséricorde : à cela sert le fonds de réserve ; on pourvoit également à la subsistance des marins devenus vieux ou infirmes ainsi que des veuves et des enfans de ceux qui ont péri sur les flots.

La vente a lieu dans une grande salle située au derrière de la maison de l’association dont la façade donne sur le port : cette salle est entourée en forme de fer à cheval par des stalles de bois disposées en gradins ; dans le fond se voit une table, au milieu une grande machine ronde, représentant assez bien un calorifère, mais percée tout autour d’une série de petites cases. En haut de chaque case se cache une boule numérotée, et par un fil de fer passant sous le plancher cette boule est mise en rapport avec un bouton de cuivre placé sur le bras droit de la stalle qui porte le numéro correspondant. Le premier rang des stalles est seul numéroté : c’est là que s’assoient les personnes qui veulent prendre une part active à la vente ; le public, comprenant surtout les femmes des pêcheurs, s’entasse sur les gradins supérieurs. Bientôt l’administrateur apparaît, il prend place à la table entre deux assesseurs, et pour commencer annonce la quantité probable de poisson que l’on attend. La vente se fait en gros par tant d’arrobes (25 livres), et le prix se compte par maravedis (il faut 34 maravédis pour faire un real, soit 26 centimes de notre monnaie). « A 46 maravédis la merluza, dit le crieur debout près de la table, à 45, à 44, » et il descend graduellement tant qu’il n’y a point preneur au prix proposé ; mais lorsqu’une des personnes placées au premier