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cimes qui l’entourent sont si élevées, leurs flancs si abrupts, que le train pour l’atteindre est obligé de faire vers la gauche un grand détour de 15 kilomètres. Au-delà d’Orduña, la voie continue à descendre presque en ligne droite, à travers des champs divisés par des haies vives de rosiers sauvages et de mûriers en fleurs ; puis défilent au galop de la locomotive des villages fameux dans l’histoire de Vizcaye : Luyando, où se trouvait l’arbre Malato, limite extrême de la province ; Arrigorriága, témoin d’une grande victoire remportée au IIe siècle sur les Castillans. Des villas isolées pointent dans la campagne et révèlent le voisinage d’une grande ville ; par malheur beaucoup ont été pillées et incendiées : on reconnaît là les traces de l’armée carliste.

J’arrivai à Bilbao dans les derniers jours de juin ; la chaleur commençait à devenir désagréable. Depuis plus de deux mois déjà je parcourais les campagnes de l’intérieur ; d’autre part, la côte cantabrique m’était recommandée comme le but d’excursion le plus charmant du monde. Ma résolution fut bientôt prise, et, sans même me donner le temps de visiter la ville, je me dirigeai vers le nord. J’allais à pied, l’unique manière profitable de voyager, de bonnes cartes dans les poches, car mon intention n’était pas de suivre toujours les chemins tracés. C’est ainsi que, dans le courant de la première journée, non loin de la petite ville de Munguia, j’aperçus, entourées d’épaisses futaies de chênes et de châtaigniers, les ruines du château de Butron. Vers le milieu du XIIIe siècle, à la suite d’une discussion futile qui s’était élevée pendant une cérémonie religieuse, la guerre civile éclata dans le pays basque, et toute la noblesse se partagea en deux camps : gamboinos et oñecinos. Comme les guelfes et les gibelins, ils arborèrent des couleurs, les uns le noir, les autres le blanc, et désormais il n’y eut plus de réunion publique, quel qu’en fût l’objet, fête, noce ou enterrement, qui ne servît de prétexte à des conflits où le sang coulait à flots. Vainement les rois de Castille, avec l’aide des corregidors et des villes, voulurent-ils intervenir ; vainement don Enrique IV donna-t-il l’ordre de démanteler tous les châteaux-forts du pays avec défense de les relever en pierres de taille à partir du premier étage ; vainement les plus dangereux des perturbateurs furent-ils saisis et déportés à l’autre bout de la Péninsule dans des villes voisines des Mores, où ils pouvaient satisfaire à loisir leurs instincts batailleurs : ces guerres, suite ininterrompue de sacs, d’incendies, de massacres, durèrent, jusqu’à la fin du XVe siècle, et il fallut la forte main d’Isabelle la Catholique pour y mettre un terme. Les Gomez de Butron étaient les principaux chefs du parti oñecino. Leur repaire s’élevait sur une hauteur escarpée, à proximité de la rivière de Plencia, dont les eaux, par un tunnel habilement creusé sous la montagne,