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qui, dans leur jeunesse, avaient plus ou moins participé à la fronde, et qui étaient charmés à la fois de revoir le plus redoutable adversaire de Mazarin et d’entendre les récits de ce merveilleux causeur. Et puis n’est-il pas malheureusement vrai que l’esprit à un si haut degré, que la naissance et la position sociale peuvent tenir lieu parfois de toute vertu ? Si l’on pouvait en douter, que l’on se rappelle avec quel enthousiasme, avec quels transports fut accueilli le prince de Talleyrand au sein de l’Académie des Sciences morales et politiques, lorsqu’il y prononça l’éloge de Reinhart. Le même accueil y eût été réservé sans aucun doute à l’illustre auteur des Mémoires, s’il eût vécu de notre temps. Tel était le cardinal de Retz au moral, incroyable assemblage de vices, de défauts et de qualités.

Tallemant des Réaux a laissé de lui, au physique, un portrait dont tout le monde se souvient. C’était « un petit homme noir, » myope, « mal fait, laid et maladroit de ses mains à toutes choses, » au point « qu’il ne savait pas se boutonner. » « La soutane lui venait mieux que l’épée, sinon pour son humeur, au moins pour son corps… Il y avait quelque chose de fier dans son visage. » « Il me disait, ajoute l’impitoyable chroniqueur, qui l’avait beaucoup connu, que, s’il eût été d’épée, il eût fort aimé à être brave (à se vêtir avec recherche) et qu’il aurait fait grande dépense en habits ; je souriais, car, fait comme il est, il n’en eût été que plus mal, et je pense que c’aurait été un terrible danseur et un terrible homme de cheval. » voici comment la duchesse de Nemours complète ce portrait : « Il se piquait généralement de tout ce qui ne pouvait lui convenir, » même « de galanterie, quoique assez mal fait, et de valeur, quoiqu’il fût prêtre. » Elle ajoute qu’il aimait fort à se déguiser en cavalier, à porter un chapeau à plumes blanches qui flottaient au vent, « ce qui était fort ridicule à un homme qui avait les jambes tortues. » Guy Joly, qui, pendant la fronde, accompagnait notre héros dans ses expéditions nocturnes, nous le montre « paré d’habits fort riches, fort galans, extraordinairement magnifiques, qu’il portait le jour aussi bien que la nuit… et dont on se moquait dans le monde. »

Tel était le personnage en pied, vu d’ensemble, avec son petit côté ridicule, qu’il faisait bien vite oublier, surtout auprès des femmes, par sa galante politesse, par son enjouement et son incomparable esprit ; mais cette esquisse ne peut suffire pour nous donner une idée des traits de son visage et du caractère de sa physionomie. Il faut pour cela avoir sous les yeux les portraits gravés du temps qui offrent le plus de garantie pour la ressemblance. Peu d’années avant la fronde, Philippe de Champagne a peint un