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ne peut assez admirer, tous ces dons précieux dont le ciel vous a si heureusement comblé, me donnèrent à vous. Ce n’est ni votre pourpre, ni la splendeur de votre maison, c’est quelque chose de plus grand, c’est vous-même, c’est votre vertu qui m’attache, et ces liens ne peuvent se rompre qu’on ne perde ou la vie ou la raison. »

Bien avant la fronde, le coadjuteur était devenu le protecteur, l’idole et l’ami des beaux esprits du temps, de Chapelain, de Balzac, de Ménage, de Sarasin, d’Adrien de Valois et de beaucoup d’autres. Scarron lui dédiait en ces termes son Roman comique : « Au coadjuteur, c’est tout dire. » Qui ne connaît le portrait qu’a laissé de lui La Rochefoucauld, son ennemi intime ? « Le cardinal de Retz a beaucoup d’élévation, d’étendue d’esprit, » dit-il en débutant ; puis il ajoute : « Il a plus d’ostentation que de vraie grandeur, l’humeur facile, de la docilité et de la faiblesse à souffrir les plaintes et les reproches de ses amis. » Longtemps après la mort de Retz, Bossuet, qui n’osait prononcer son nom du haut de la chaire sacrée de peur de déplaire à la cour, le désignait dans les termes suivans à ses auditeurs, sans qu’un seul d’entre eux pût s’y méprendre : « Puis-je oublier celui que je vois partout dans le récit de nos malheurs ; cet homme si fidèle aux particuliers, si redoutable à l’état, d’un caractère si haut qu’on ne pouvait ni l’estimer, ni le craindre, ni l’aimer, ni le haïr à demi ? » Il le qualifiait en même temps de ferme génie bien avant la publication des Mémoires, car il savait à quoi s’en tenir sur le génie de Retz, par plusieurs contemporains qui l’avaient vu de près, dans l’intimité, par la princesse palatine Anne de Gonzague et par le grand Condé. Ce qui dominait dans Retz, c’était sa science profonde des hommes en temps de révolution, son art merveilleux de les soulever, de s’en emparer, de les rallier à ses intérêts et à sa cause, ou de les enlacer et de les vaincre lorsqu’ils devenaient ses adversaires ; son aptitude surprenante à tourner les difficultés et à les surmonter, ou à susciter des obstacles sans cesse renaissans à ses ennemis. Jamais homme ne poussa plus loin dans une intrigue la fécondité des inventions et des combinaisons, et ce n’est pas trop se risquer que de prétendre que Mazarin eût cent fois succombé sous les embûches du coadjuteur, s’il n’eût trouvé dans le cœur de la reine un point d’appui inébranlable.

Lenet, le confident et le conseiller du grand Condé, qui avait toutes les raisons du monde pour détester le cardinal de Retz et ne pas rendre justice à son mérite, déclare dans ses Mémoires « qu’en lui seul résidait toute l’autorité de la fronde, par la supériorité de son génie sur tous ceux qui la composaient. » Et l’ennemie mortelle de