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arme. C’est ainsi qu’en 1648, dans son Sermon de saint Louis, il réclamait en faveur du clergé une exemption des subsides demandés par Mazarin, avec une audace qui sentait déjà la faction. « Depuis le martyre de saint Thomas de Cantorbery, s’écriait-il, mort et canonisé pour la conservation des biens temporels de l’église, c’est une impiété que de ne pas les mettre au rang des choses sacrées. » Une année après, en pleine fronde, tout autre est son langage, tout autre sa conduite. Il propose au parlement de s’emparer, non-seulement de la vaisselle d’argent des particuliers pour en faire de la monnaie et pour lever des gens de guerre, mais encore des vases sacrés des églises, « qui ne pouvaient être mieux employés, disait-il, que pour la défense de la chose publique. » Le même jour (25 janvier 1649), pour donner du cœur aux Parisiens qu’avait plongés dans l’épouvante l’approche du vainqueur de Lens avec une armée, il montait en chaire. C’était la fête de la Conversion de saint Paul, et loin de prêcher, à l’exemple de l’apôtre, le respect dû aux puissances, il s’éleva avec force contre Mazarin. « Il ne faut pas souffrir, pour la gloire de Dieu, s’écria-t-il, qu’un étranger, un Italien, enlève le roi hors de Paris et mette l’état tout en feu[1]. » L’église regorgeait de monde, et Retz comptait parmi ses auditeurs le prince de Conti et Mme de Longueville[2]. Une relation inédite assure que, si « la foule fut grande, l’édification fut fort petite[3]. » — « Ce qui scandalisa davantage tous les bons Français, ajoute-t-elle, fut de voir ce prélat… prêcher une doctrine bien contraire à celle de ce grand apôtre, lequel avait tant de respect pour les puissances temporelles, qu’il voulait qu’il leur fût obéi, fussent-elles déréglées et dissolues. »

Une autre fois, à la fin du blocus de Paris, il attaqua Mazarin avec véhémence du haut de la chaire ; mais il y eut un tel frémissement de désapprobation dans l’auditoire, que l’orateur resta court et fit semblant de s’épanouir pour se tirer de ce mauvais pas[4]. Malheureusement il ne nous est resté dans leur entier aucune de ces harangues frondeuses, dont l’éloquence, à coup sûr, devait être bien autrement franche et sincère que celle de sermons roulant uniquement sur un sujet de piété, ou même que celle des pamphlets écrits à froid par Retz dans le silence du cabinet.

Les murmures que soulevaient de temps à autre les sermons révolutionnaires du coadjuteur, ainsi que le constatent les mémoires

  1. Journal inédit d’un Parisien pendant la fronde, Bibl. nat., et Journal du président d’Ormesson, t. Ier, p. 642.
  2. Journal inédit de Dubuisson-Aubenay, à la date de 25 janvier 1649.
  3. Journal d’un Parisien.
  4. Mémoires de la duchesse de Nemours.