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« Vous qui joignez la vigueur d’une belle jeunesse à la gloire d’une haute naissance, imitez-vous saint Charles ? Suivez-vous sa conduite quand vous commencez à vous connaître, et que vous vous trouvez engagés par le choix de vos pères au service des autels ? vous y engagez-vous de suite par votre propre volonté, par le dessein de plaire à Dieu, de le servir et d’y faire votre salut ? Ou bien votre élection est-elle un effet des complaisances humaines ou des intérêts de vos familles ? Et quand même les motifs en sont volontaires, sont-ils bien dégagés des sentimens de l’ambition ? La pureté de votre vie rend-elle témoignage de la pureté de vos intentions ? Et si vos mœurs sont bonnes, ajoutez-vous à la privation des vices, qui est peut-être aussi souvent l’effet de votre inclination que de votre vertu, les peines et les travaux qui sont nécessaires pour vous rendre capables de servir Dieu dans votre ministère ? vous adonnez-vous à l’étude ? ne flattez-vous pas votre paresse par de fausses maximes qui se coulent insensiblement dans quelques esprits qui font profession d’une piété mal entendue, et qui leur persuade que la science n’est pas nécessaire, comme si ces paroles de l’apôtre étaient superflues : Oportet esse potentem exhortari in doctrina sana, et eos qui contradicunt, arguere. Il faut que les ecclésiastiques soient savans et qu’ils soient capables de convaincre la fausseté des erreurs par la vérité de la doctrine. Mais enfin, de quelque profession que vous soyez, soit ecclésiastique, soit militaire, vous servez-vous pour votre salut et de la force de votre jeunesse et des avantages que vous donne votre condition ? ou bien prenez-vous de la facilité pour vos débauches dans l’applaudissement que vous recevez dans les compagnies et dans la considération que vous tirez de votre qualité ? Si cela est, saint Charles condamne, par l’ordre qu’il a mis à sa jeunesse, les désordres dont vous déshonorez la vôtre. Lœtare juvenis in adolescentia tua et scito quod pro his omnibus te adducet Deus in judicium. Sache, dit l’Ecclésiaste, que Dieu te demandera compte de ta jeunesse, que tu auras employée dans les plaisirs. Saint Charles a employé la sienne dans les travaux et dans les peines. Saint Charles condamne donc tous ceux qui passent leur jeunesse dans les délices et dans les voluptés. »

Si, comme l’a dit La Rochefoucauld, « l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu, » jamais maxime, il faut en convenir, ne pourrait être mieux appliquée qu’au prélat libertin qui célèbre sur ce ton vraiment digne du sujet les vertus de Charles Borromée.

Ce panégyrique fut prononcé le 4 novembre 1646. On sait que Mazarin, à cette date, avait déjà pris ombrage des aumônes secrètes