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milieu de ce labyrinthe où Retz s’est efforcé de l’égarer dans le cours de ses Mémoires, de peur de lui découvrir les derniers abîmes de son âme.

Interrogeons la jeunesse de Paul de Gondi ; elle nous donnera la clé de sa vie entière. Bien que, de son propre aveu, il eût l’âme la moins ecclésiastique qui fût dans l’univers, l’aveugle piété de son père, à laquelle, il faut bien le dire, se mêlait beaucoup d’ambition, l’avait contraint d’entrer malgré lui dans les ordres, afin qu’il pût succéder, en qualité d’archevêque de Paris, à François de Gondi, son oncle. Depuis trois générations, l’archevêché n’était pas sorti de la famille ; il était devenu pour elle comme une charge héréditaire.

Jamais vocation ne fut plus forcée, plus à contre-sens que celle du jeune abbé. Les vertus de sa mère et les exemples de son précepteur Vincent de Paul n’avaient eu aucune prise sur son âme ardente, irrésistiblement vouée à l’intrigue, à l’action, et absolument fermée aux aspirations et aux croyances religieuses. On sait les efforts désespérés qu’il tenta pour briser le joug. Il courut au-devant des duels, des aventures galantes, espérant, à force de scandales, Retourner son père de sa première résolution ; mais le vieillard fut inflexible, et Paul de Gondi dut se résigner à garder la soutane. Telle était alors la fatale condition des cadets de familles nobles ; destinés, bon gré, mal gré, dès leur naissance, à la vie ecclésiastique, on ne saurait être surpris qu’ils aient souvent donné l’exemple des plus éclatans désordres. C’est à ce point de vue équitable qu’il faut se placer pour juger Paul de Gondi, et pour excuser, du moins en partie, les dérèglemens de sa jeunesse.

Retz a pris soin de nous initier lui-même à ses premiers débuts dans la carrière ecclésiastique, et, il faut l’avouer, cette partie de ses confessions est à coup sûr la moins déguisée et la plus sincère. Loin de nous cacher dans ses Mémoires les scandales de sa vie de prêtre et le triste rôle d’hypocrisie auquel il se condamna pour les couvrir aux yeux de ses contemporains, il les étale avec complaisance, on peut même dire avec coquetterie. Jamais il ne parle des choses les plus saintes que d’un ton profane et dégagé, en grand seigneur qui se croit tout permis, qui se place bien au-dessus des conventions sociales, des vertus bourgeoises, des croyances de la foule. Il est de la race des don Juan qui se font un jeu de toutes les lois divines et humaines ; mais il a de tout autres proportions que le don Juan de Molière, car il emprunte parfois à son caractère de prêtre un air satanique. Pour lui la vie n’est qu’un théâtre, et tous les hommes, de quelque condition qu’ils soient, papes et empereurs, princes et rois, prélats et gentilshommes, ne sont que des acteurs