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chefs-d’œuvre de tous les âges. Pline disait déjà que de son temps on y Voyait les ouvrages des artistes les plus distingués de la Grèce ; les empereurs qui suivirent, surtout Hadrien, ce fin connaisseur, cet ami passionné des beaux-arts, durent singulièrement enrichir la collection. Pour que rien n’y manquât, on y avait rassemblé aussi une grande abondance de livres rares et précieux. Les deux bibliothèques latine et grecque du portique d’Apollon et celle de la maison de Tibère étaient célèbres dans le monde entier.

Ajoutons enfin que la situation des palais impériaux répondait à leur beauté. Cicéron dit que le Palatin était le plus bel endroit de Rome. On dominait de là toute la ville, et le regard embrassait presque tous les monumens célèbres dont la république et l’empire l’avaient ornée. « Quel plus noble séjour, dit Claudien, pouvaient choisir les maîtres du monde ? Sur cette colline, la puissance a plus de grandeur ; il semble qu’elle ait mieux la conscience de sa force. Là, le palais des monarques, élevant au-dessus du Forum sa tête altière, voit à ses pieds les temples des dieux, rangés en cercle autour de lui comme des postes avancés qui le protègent. Spectacle sublime ! De là l’œil aperçoit, au-dessus des autels de Jupiter tonnant, les géans suspendus à la roche tarpéienne, l’or ciselé des portes du Capitole et, sur le faîte des temples qui de toutes parts usurpent les plaines de d’air, ces statues qui semblent s’agiter dans les nuages ; plus loin, ces colonnes rostrales recouvertes de l’airain des navires, et ces édifices construits sur le sommet des plus hautes montagnes, travaux audacieux que la main de l’homme ajouta à l’œuvre de la nature, et ces innombrables arcs de triomphe chargés des dépouilles des nations. Partout l’éclat de l’or frappe les yeux éblouis et par son scintillement perpétuel fatigue les prunelles tremblantes. » toutes ces richesses ont disparu ; il ne reste que les fondations de ces palais de marbre du haut desquels le poète contemplait les édifices dorés du Forum : ce ne sont plus aujourd’hui que des ruines d’où l’œil s’étend sur d’autres ruines ; mais, s’il nous paraît difficile d’imaginer ce qu’ils devaient être quand ils étaient entiers, souvenons-nous que ceux qui les visitaient, dans les derniers temps de l’empire d’Occident, ne croyaient pas que la magnificence pût aller plus loin, et qu’ils leur paraissaient l’idéal d’une habitation souveraine. Dès le IIIe siècle, le mot de palais, dérivé du nom du Palatin, désigne en latin et en grec la demeure d’un monarque ; il a passé de là dans les langues modernes, comme celui de césar, que les barbares ont pieusement recueilli au moment même où ils détruisaient l’empire, pour en faire le plus beau titre qu’on pût donner au pouvoir suprême.


GASTON BOISSIER.