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ambassadeurs des rois ou des peuples étrangers, et les députations des provinces qui venaient à tous les anniversaires lui apporter les félicitations et les vœux de ses sujets les plus lointains. Cette salle est un témoignage vivant du progrès que les mœurs monarchiques avaient fait depuis Auguste. A son extrémité, en face de la porte d’entrée, on voit une abside qui devait contenir sans doute le trône de l’empereur, — car Domitien avait un trône : avec lui, l’étiquette des monarchies orientales s’introduit à la cour des empereurs. Stace, son poète favori, lui donnait ouvertement ce nom de roi que César n’avait pas osé prendre, et il savait bien qu’en le lui donnant il ne risquait pas de lui déplaire. La décoration de la salle répondait à son étendue. Bianchini raconte qu’il y trouva, lorsqu’il la découvrit, des restes admirables de son ancienne splendeur. Autour des murs couverts des marbres les plus précieux se dressaient seize colonnes corinthiennes de 28 pieds de haut merveilleusement travaillées. Huit grandes niches, surmontées d’un fronton, comme celles du Panthéon d’Agrippa, contenaient huit statues colossales en basalte ; deux d’entre elles, un Bacchus et un Hercule, furent trouvées à leur place. La porte d’entrée était flanquée de deux colonnes en jaune antique qui furent vendues 2,000 sequins ; le seuil était formé par un morceau si énorme de marbre grec qu’on en fit la table du maître-autel d’une église. Toutes ces richesses ont été dispersées ; il reste à peine le long des murs ou sur les pavés quelques débris des marbres qui les couvraient, et ces débris ne suffisent plus à nous donner une idée de ce que devait être la magnificence de cette salle.

Le tablinum est placé entre deux autres pièces d’inégale grandeur, qui s’ouvrent comme lui sur le portique d’entrée. On a cru voir dans la plus petite des deux une de ces chapelles domestiques où l’on adorait les divinités de la famille, mais cette destination est assez incertaine[1] ; au sujet de l’autre, au contraire, il ne peut y avoir aucun doute : c’était une basilique, c’est-à-dire une de ces salles où l’on rendait la justice. On en distingue encore nettement toutes les parties, et il reste même, près de l’abside semi-circulaire où siégeaient les juges, un fragment de la balustrade de marbre qui les séparait de l’assistance. C’est là que l’empereur jugeait les affaires civiles ou criminelles qui lui étaient déférées. Domitien tenait beaucoup à cette prérogative de son pouvoir suprême ; il voulait se donner la réputation d’être un justicier sévère et punissait

  1. Bianchini prétend qu’on y trouva un autel qui portait encore la trace du feu et des restes de sacrifices ; mais, à l’époque où le palais impérial fut détruit, il y avait près de trois siècles que le christianisme triomphait et qu’il n’entrait plus de païens dans la demeure des césars.