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coup il s’apaisa : « Jupiter, disait-il, lui avait demandé pardon, » et, passant brusquement de la fureur à tous les excès de la passion, il ne voulait plus quitter son nouvel ami. Pour être plus près de lui et l’aller trouver librement à toute heure, il fit construire un pont hardi qui passait par-dessus les plus hauts édifices du Forum et joignait le Palatin au Capitule.

Ce pont a été détruit de bonne heure, nous n’en avons rien conservé ; mais le souvenir de Caligula n’en est pas moins vivant au Palatin : il reste attaché à un autre débris de la demeure impériale que les fouilles nous ont rendu. Non loin de la vieille porte Mugonia, près du temple de Jupiter Stator, on a retrouvé un de ces passages appelés par les Romains cryptoportiques, qui s’enfonçaient dans la terre et permettaient d’aller d’une habitation à une autre sans traverser les rues ou les places publiques. Celui-là est un des plus longs qu’on connaisse ; il prend naissance tout près de la rue Palatine, longe pendant plus de 100 mètres les maisons de Tibère et de Caligula, puis tourne brusquement à droite et continue jusqu’à l’endroit où il rejoignait un des palais aujourd’hui détruits. Il devait être décoré avec soin et prenait jour par des ouvertures pratiquées dans la voûte. C’est là, sous cette lumière douteuse, que le 24 janvier de l’an 41 il se passa un événement terrible dont l’historien Josèphe nous a raconté tous les détails. Caligula était d’abord si aimé de tous les Romains qu’en trois mois on immola, dit-on, plus de 160,000 victimes pour remercier les dieux de son avènement ; mais trois ans lui suffirent pour se faire craindre et détester du monde entier : aussi une conjuration que dirigeait le tribun militaire Cassius Chéréa s’était-elle formée pour en délivrer l’empire. Chéréa, quoiqu’il ne fût plus jeune, conservait certaines habitudes d’élégance dans sa mise et de recherche dans son langage, un air de nonchalance et de mollesse qui le faisaient croire moins énergique qu’il ne l’était : sous ces apparences de petit-maître, il y avait une âme de soldat ; c’était de plus un républicain, qui se souvenait de l’ancien gouvernement, au milieu de gens empressés à flatter le nouveau. Caligula, aussi insolent que cruel, ne cessait de le combler d’outrages. Toutes les fois que le tribun venait, selon l’usage, lui demander le mot d’ordre, le prince, pour le railler de ses habitudes efféminées, prenait plaisir à lui donner un mot bas ou obscène qui rendait Chéréa la risée des officiers et des soldats. Il semblait le choisir de préférence pour les emplois désagréables. Un jour il le chargea de faire donner la question à une comédienne dont on voulait perdre l’amant ; mais la comédienne, malgré les plus affreuses souffrances, refusa de rien dire qui pût compromettre celui qu’elle aimait. Chéréa, mécontent de lui et des autres, honteux du rôle qu’on lui faisait