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à un savant dans son cabinet de se moquer de Romulus et de ses successeurs, de ne voir dans les récits qu’on nous fait d’eux que des fables extravagantes ou de les expliquer comme des mythes qui n’ont aucune réalité, on n’a pas tout à fait la même assurance quand on vient de visiter Rome. Là ce passé, qui parait d’abord si lointain, si douteux, se rapproche de nous ; on le touche et on le voit. Il a laissé de lui-même des traces si profondes et si vivantes qu’il n’est pas possible de lui refuser toute créance. On comprendrait à la rigueur que, s’il n’était rien resté de ces siècles antiques, les chroniqueurs grecs qui débrouillèrent les premiers les annales de Rome se fussent amusés à inventer toute sorte de fables pour combler de quelque façon les vides de l’histoire. Mais, si effrontés menteurs qu’on les suppose, ils n’étaient pas libres de tout imaginer selon leurs caprices ; ils trouvaient en face d’eux des souvenirs qu’il leur fallait respecter. Ces souvenirs n’avaient pas pu se perdre parce qu’ils étaient attachés à des monumens indestructibles qui remontaient aux origines même de la cité. Les générations se transmettaient de l’une à l’autre le nom de leurs fondateurs, et l’on se rappelait en les voyant les désastres ou les victoires qui avaient été l’occasion de les construire. Les annalistes du VIe siècle ont dû sans doute ajouter beaucoup à ces traditions. L’imagination des Romains était sèche et courte ; ils n’avaient pas l’art, comme les Grecs, d’embellir leur histoire de fictions merveilleuses. A mesure que le temps effaçait la mémoire du passé, la fantaisie populaire ne savait pas réparer ces pertes par des inventions nouvelles et charmantes. Au bout de quelques siècles, il ne restait plus de ces anciens événemens que quelques noms et quelques faits sur lesquels il était aisé de broder beaucoup de mensonges ; mais le mensonge n’est qu’à la surface, la vérité doit être au fond.

Voilà les réflexions que suggère inévitablement une visite au Palatin : elles s’imposent surtout à la pensée quand on y rencontre les grands débris de murailles qui formaient l’enceinte de Romulus. Ces murailles étaient construites dans le même système que celles qu’on attribue à Servius et doivent être à peu près contemporaines. Les unes et les autres se composent de blocs de tufs rapprochés que n’unit ensemble aucun ciment, et qui tiennent par leur poids seul. La disposition des assises y est toujours la même : les pierres y sont posées successivement dans le sens de leur longueur et dans celui de leur hauteur. Cette façon de bâtir appartenait en propre aux Étrusques, et les Romains la tenaient d’eux : c’était leur système ordinaire ; ils prenaient partout, dit Pline, ce qu’ils trouvaient bon à prendre, omnium ulilitatum rapacissimi. Mais, si cette race sensée, étrangère à toute infatuation d’elle-même, empruntait sans scrupule à ses voisins ou même à ses sujets tout ce qui pouvait lui être