Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ESSAIS ET NOTICES.

Recueil de poèmes historiques, en grec vulgaire, relatifs à la Turquie et aux Principautés danubiennes, publiés, traduits et annotés par Émile Legrand. Paris 1877. Leroux.


L’histoire seule ne satisfait pas toujours l’inquiète curiosité qui nous pousse à chercher dans le passé les causes des crises successives que nous traversons ; mais il est un élément qui souvent en tient lieu et peut, mieux que tout autre, nous instruire ; c’est une histoire bien incomplète, mais toujours sincère, et quand elle enregistre les victoires et les défaites, elle nous transmet la parole même des vainqueurs et des vaincus : je veux parler de la tradition populaire.

Un livre dont sans doute le but était moins ambitieux, destiné seulement à compléter pour les érudits la collection des monumens de la langue grecque au moyen âge, a paru dernièrement sous ce titre : Recueil de poèmes historiques relatifs à la Turquie et aux Principautés danubiermes. Attiré, tout d’abord par un intérêt philologique, nous avons senti en le lisant qu’il avait une double importance. On y retrouve en effet, sous une forme et dans un dialecte curieux, la pure expression des sentimens d’une race qui, depuis quatre siècles, lutte et se débat pour reconquérir son indépendance, et l’écho de ces plaintes passées semble résonner encore et se confondre avec les cris de guerre que nous entendons aujourd’hui.

Un long poème nous présente Michel le Brave, l’illustre voïvode de Valachie, attaquant sans relâche les Tartares, les Hongrois, les Turcs surtout. Le nom des oppresseurs revient à chaque page, et la fureur de Michel ne se ralentit jamais : ce sont d’interminables combats ; chaque jour « le Danube roule des milliers de cadavres tTurcs dans ses ondes, » et, comme pour conserver à ces horribles scènes toute leur actualité, les villes qui sont assiégées, prises ou brûlées, sont celles dont nous répétons encore les noms : — Rutschuk, Varna, Widdin, Nicopolis, Giurgevo, Braïla, — toutes les riveraines de ce Danube si souvent ensanglanté ; — Un jour de révolte, « ils (les valaques) ravagèrent Rutschuk et le mirent sens dessus dessous. Ils s’emparèrent des trésors ; ils enlevèrent les femmes turques ; les mères pleurent leurs enfans, et les enfans poussent des cris… Il y eut en ce jour-là bien des lamentations, et les clameurs montèrent jusqu’au ciel… Ils ne laissèrent rien. Les belles turques, ces femmes délicates et choyées, qui ne sortaient jamais, il fallait voir comme elles étaient faites, toutes nues, déchaussées,