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çant, ils vont se heurter presque aussitôt contre les positions qui portent encore le nom de mur de Trajan, et qui ont été, dit-on, très vigoureusement retranchées. Ce premier obstacle franchi, ils tombent sur les places fortes, dans le quadrilatère de varna, Schumla, Silistrie et Rutschuk. Ce ne serait pas la première fois, il est vrai, que les Russes auraient pris ce chemin ; ils l’ont suivi notamment en 1828 ; mais alors ils avaient une raison supérieure. Ils se servaient de la mer, qu’ils côtoyaient, pour leurs ravitaillemens ; aujourd’hui c’est la flotte turque qui tient la Mer-Noire. Il était assez présumable dans ces conditions nouvelles que le passage par Galalz et Braïla n’était qu’une diversion, une opération auxiliaire destinée à masquer ou à compléter l’opération principale, et que le vrai passage s’exécuterait ailleurs dans la partie supérieure du Danube, au-dessus de Rutschuk, au confluent de l’Aluta, en face de Nicopolis. C’est en effet sur ce point que les Russes paraissent concentrer à l’heure qu’il est leur effort le plus vigoureux et le plus décisif. Ils seraient même déjà passés en grande partie, dit-on ; ils ont déjà peut-être enlevé Sistova, sur la rive droite, et par là ils tournent à l’ouest les places fortes, ils s’ouvrent directement un chemin vers les défilés des Balkans, tandis que la colonne qui vient par Galatz et Braïla menacerait à l’est les forces ottomanes du quadrilatère. Il est vraisemblable que les Russes tenteront aussi de passer sur quelques points intermédiaires, tels que Turtukai, non loin de Silistrie. En un mot, cette vaste opération, qui constitue la véritable entrée en campagne, est engagée de toutes parts au moment présent.

Est-ce là tout cependant ? N’est-ce point au contraire le commencement de bien d’autres difficultés, même de difficultés militaires ? Le passage du Danube fut-il accompli dès ce moment, et il ne paraît pas s’effectuer dans tous les cas sans des pertes sérieuses, les Russes ne sont pas au bout de leurs peines. Ils sont en force sans doute, ils sont nombreux. Ce qui sera possible par le courage et la ténacité, les soldats du tsar le feront, on peut le croire ; mais, quels que soient leur courage et leur nombre, les Russes n’ont pas seulement à combattre et à marcher, ils ont à masquer les places s’ils ne les assiègent pas, ils ont à garder les passages du Danube, leurs communications, sans lesquelles ils seraient perdus, ils ont à s’assurer chaque jour des approvisionnemens immenses qui ne peuvent leur venir qu’à travers la Roumanie, par des transports difficiles, ils l’ont déjà éprouvé. Et puis ils ont perdu du temps, ils entrent aujourd’hui dans la saison la plus meurtrière ; ils sont exposés à périr par les maladies encore plus que par le feu, peut-être à ralentir pour quelques semaines leurs opérations actives, s’ils ne décident pas la campagne dès le début par quelque succès éclatant. Les Turcs, qui jusqu’ici n’ont pas sérieusement donné signe de vie, ne resteront pas sans doute de leur côté longtemps inactifs. S’ils sont moins nombreux