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velé quelques-unes de ses propositions. Il n’y avait en réalité dans tout cela que le jeu naturel des institutions, la coexistence plus ou moins laborieuse, mais régulière, de deux assemblées de tempéramens différens, l’une novice, inexpérimentée, un peu agitée, l’autre plus mûre, exerçant son influence modératrice, serrant au besoin le frein. Où était le péril ? où était ce dissentiment absolu, systématique, permanent, dont a parlé M. le président du conseil et qui aurait acquis soudainement un tel degré de gravité qu’il n’y aurait plus eu qu’à recourir à ce moyen extrême d’une dissolution ? Le pays ne demandait et n’attendait évidemment rien de semblable, il ne sentait pas le besoin d’être sauvé ; il était peut-être sans illusions, il était aussi sans alarmes, et certes, si la dissolution ne répondait à aucune nécessité intérieure pressante, elle répondait encore moins à des nécessités extérieures, à tout ce qu’exige la position diplomatique de la France dans les affaires du monde.

Rien de plus évident, l’Europe traverse une crise où tous les intérêts généraux sont engagés et où chaque pays a aussi ses intérêts particuliers, son rôle, ses difficultés. L’Orient est en feu. Les armées de la Russie et de la Turquie sont en ce moment aux prises dans la vallée du Danube, et la diplomatie suit d’un regard attentif, inquiet le choc redoutable qu’elle n’a pu empêcher, dont elle pressent les conséquences possibles. C’est toujours la grande question de l’équilibre universel qui s’agite, et aux luttes plus ou moins dissimulées d’influences diplomatiques se mêlent presque partout des querelles religieuses qui tiennent les passions en éveil, qui compliquent cette situation générale de l’Europe en suscitant parfois entre les peuples de dangereux ombrages. S’il y eut jamais un moment où l’on dut éviter les conflits intérieurs, les agitations inutiles, en un mot tout ce qui peut affaiblir, ne fût-ce que momentanément, ne fut-ce qu’en apparence, l’action du pays, c’est celui-ci. C’est justement l’heure où une crise éclate à l’improviste, et par une fatalité de plus il faut que cette crise intérieure se complique de questions délicates de nature à éprouver nos relations, à éveiller tout au moins autour de nous des craintes, des défiances. Que ces défiances et ces craintes n’aient rien de fondé, soit ; ce n’est pas moins une chose grave qu’elles aient pu naître au moment présent, et ce n’est pas moins le malheur de la politique du 16 mai d’avoir pu les inspirer. Il y a même, dirons-nous, quelque chose de pénible dans cette nécessité qu’on subit de multiplier Les efforts pour aller au-devant des soupçons, pour dissiper les impressions du premier moment. M. le ministre des affaires étrangères s’est fait l’autre jour un devoir de tranquilliser la chambre, de lui communiquer les rassurans témoignages des dispositions de l’Europe officielle à l’égard de la France, de lui lire des dépêches de Vienne, de Berlin, de Rome et de Madrid. M. le ministre des affaires étrangères a fait chaleureusement appel au patriotisme de tous