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il est aujourd’hui devant le pays, devant la France, et c’est précisément devant la France, devant l’opinion universelle, que la politique du 16 mai a surtout à se défendre en montrant qu’elle a été une nécessité, qu’elle s’est inspirée du véritable état du pays et du monde. Nous ne contesterons ni la légalité ni les intentions. Un homme comme M. le duc de Broglie peut se tromper, il ne joue pas légèrement et volontairement le repos public ; il est encore moins de ceux qui de propos délibéré ou par arrière-pensée sont des fauteurs de coups d’état. Le gouvernement n’a point excédé la loi et il a les meilleures intentions, soit. La question est toujours de savoir si on a réfléchi avant de se lancer dans ce qu’il faut bien appeler cette aventure du 16 mai, si on a choisi l’heure, les moyens, les auxiliaires, si sous prétexte d’ordre moral on n’a pas ajouté à la confusion, et si d’une situation difficile peut-être on n’a pas fait une situation impossible ; la question est de savoir si, au lieu de sauvegarder les intérêts conservateurs, on ne les a pas compromis, et si, au lieu de rassurer l’opinion, on ne l’a pas profondément troublée. Un acte de ce genre a besoin d’être simple et clair, d’aller droit à l’esprit public, de « saisir la conscience nationale, » selon le mot de M. le ministre de l’intérieur. La faiblesse de la politique du 16 mai est justement de n’avoir été ni préparée ni suffisamment expliquée, d’avoir éclaté comme une fantaisie d’omnipotence, comme un coup imprévu, d’avoir surpris le pays, qui ne s’y attendait certainement pas, et, pour tout, dire, de ne répondre ni à une nécessité intérieure évidente ni aux nécessités extérieures qui dominent ou qui devraient plus que jamais dominer toutes les autres.

Assurément on peut refaire tant qu’on voudra le procès du dernier parlement, de la dernière majorité et du dernier cabinet. M. le ministre de l’intérieur l’a instruit devant la chambre elle-même avec une liberté audacieuse, et le ministre des travaux publics, M. Paris, l’a recommencé après M. de Fourtou ; M. le président du conseil à son tour l’a repris avec la savante souplesse de sa parole devant le sénat. Au fond que résulte-t-il de tout cela ? Ceux qui croient devoir tout défendre, tout absoudre dans la courte existence de la dernière majorité ont bien tort. Même aujourd’hui il n’y a point à se payer d’illusions. Évidemment cette chambre ne réalisait pas l’idéal parlementaire, il y avait des incohérences, des désordres, quelquefois des velléités dangereuses, des impatiences agitatrices. Une majorité régulière, sérieuse, avait de la peine à se former, à se dégager de la confusion. Il y avait assez souvent à ralentir le pas, à négocier, à transiger. C’était parfois agaçant, nous en convenons, et on ne se gênait pas pour le dire. En quoi consiste cependant la politique dans les régimes parlementaires, si ce n’est à vivre avec tous ces élémens, à les assouplir ou à les contenir, à résoudre les difficultés sans avoir toujours l’air de vouloir les trancher du fil d’une