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pendant quinze ans tout va bien, jusqu’à ce qu’éclate une révolution qui met la société en péril. César peut se dispenser de raisonner, César n’a pas besoin de convaincre ses adversaires, il les supprime ; mais tôt ou tard il est supprimé par eux.

Les Anglais ont souvent reprochés aux conservateurs français de ne pouvoir se plier longtemps au régime de la discussion, qui s’appelle en politique le régime parlementaire. Ils en redoutent les agitations, ils en nient les vertus et n’admettent point qu’il leur fournisse des moyens suffisans pour avoir raison des utopies, pour faire rentrer dans l’ordre les brouillons qui bâtissent sur une idée vraie ou fausse l’édifice de leur fortune ; ils craignent le bruit, ils craignent encore plus la fatigue, ils se lassent bien vite de cette vie éternellement militante qui est l’onéreuse et glorieuse condition des pays libres. La presse européenne a démêlé tout de suite que la question qui s’agite aujourd’hui en France est une question de méthode de gouvernement. Trois partis se sont coalisés, a-t-elle dit, pour soutenir le ministère du 17 mai, et aucun d’entre eux ne se flatte de pouvoir restaurer dans un bref délai le monarque de son choix ; cette restauration n’est pas mûre, elle ne pourrait se faire que par un coup de force brutale dont le résultat serait bien chanceux. Plus d’un légitimiste a le sentiment très net des difficultés qui s’opposent encore au retour du roi, plus d’un bonapartiste doute que Napoléon IV puisse remonter sur le trône avant que certains souvenirs se soient effacés ; mais les légitimistes comme les impérialistes s’accordent à reconnaître qu’il y a dès ce jour quelque chose à faire, un travail urgent à accomplir, qu’il faut déblayer le terrain en débarrassant la France du régime parlementaire, incompatible, suivant eux, avec le repos et les vrais intérêts du pays. L’église bénit et encourage leur effort, elle estime que dans une nation gouvernée par un parlement l’obéissance elle-même est encore désobéissante ; elle a déclaré dans tous les siècles a que la folie est liée au cœur de l’enfant et que la verge sainte de la discipline est seule capable de l’enchâsser. »

L’Europe a cru comprendre qu’en attendant de travailler à la restauration du trône, les coalisés du 16 mai avaient formé le commun projet de restaurer une méthode de gouvernement qui a été inventée par l’empire, mais que chaque parti se promet d’appliquer avec le même succès à son profit. Nous entendons parler de la méthode plébiscitaire, qui est l’opposé de la méthode parlementaire ; elle consiste à placer la nation en face d’un fait accompli et à lui en demander son avis après coup. Les partisans de cette méthode jugent que le secret d’une bonne politique est d’adresser de temps à autre au corps électoral certaines questions, et qu’en s’y prenant bien on obtient toujours la réponse qu’on désire. Il est un art d’interroger, les principes en ont été fixés depuis longtemps. Le premier point est de savoir bien choisir la