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importe surtout de connaître, les idées et les sentimens intimes dont les mœurs et les institutions ne sont que la forme extérieure ? Sans doute la statistique réunit des documens d’une inappréciable importance : commentés par le présent, qui en tire d’utiles enseignemens, ils réservent encore à l’avenir de précieuses trouvailles ; mais tout n’est pas d’une égale valeur, tant s’en faut. Trop de gens croient imiter à bon marché les procédés des sciences exactes parce qu’ils remuent à tort et à travers des légions de chiffres. A les voir aligner ensemble des totaux disparates et supputer imperturbablement des moyennes sans réalité, on devine qu’ils ont appris de Sganarelle tout ce qu’on peut dire impunément aux gens qui ne savent pas le latin. En outre les documens statistiques, même recueillis avec le soin le plus scrupuleux, ont été rassemblés suivant des méthodes variées, calculés avec des procédés divers et réunis pour répondre à des besoins différens ; ils sont par suite difficilement comparables et se prêtent avec peu de souplesse aux usages multiples auxquels on les prétend faire servir. Personne au surplus n’a précisé plus justement que le Bureau de la statistique du travail de Boston à quelles critiques peut donner lieu ce mode d’information. « Il n’y a point, dit le rapport de 1875, de sources aussi précieuses pour celui qui étudie les problèmes sociaux que les statistiques, mais à la condition qu’elles soient fondées sur des investigations originales faites honnêtement par des personnes compétentes (original investigation honestly made, by compétent persons) ; mais, si quelqu’une de ces qualités vient à manquer, ce sont les pires de toutes les informations et les plus dénuées de valeur (the most misleading and worthless). » Le rapport insiste notamment sur les vices du système trop employé, qui consiste à expédier en blanc des imprimés destinés à être remplis par les mains les plus diverses et retournés ensuite à la bureaucratie centrale dont ils émanent. Celle-ci, dès lors, n’a d’autre rôle que de faire des additions parfois fantaisistes, de calculer des moyennes souvent trompeuses et de publier enfin des documens d’une autorité toujours contestable. D’ailleurs les commissaires, joignant l’exemple au précepte, pratiquent eux-mêmes la méthode des enquêtes directes et des observations prises sur le vif. Ils semblent s’être inspirés, comme M. Le Play, des conseils de Descartes. « Je quittai entièrement l’étude des lettres, dit l’auteur du Discours sur la méthode ; j’employai le reste de ma jeunesse à voyager, à fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions. Car il me semblait que je pourrais rencontrer beaucoup plus de vérités dans les raisonnemens que chacun fait touchant les affaires qui lui importent et dont l’événement le doit punir bientôt après, s’il a mal jugé, que dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabinet touchant des spéculations qui ne