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épanouie au cœur de la forêt, l’expression d’une chose que l’architecture n’avait pas encore essayé de rendre, l’expression de la sainteté idéale de l’amour et du mariage[1]

Les fiançailles d’Edgar Quinet et de Minna More ne durèrent pas moins de sept ans. Pendant cette longue épreuve, docile aux représentations de sa mère, il travaillait à se créer une position fixe. Un instant, le souvenir de sa campagne en Morée, la publication de son livre sur la Grèce, la révolution de 1830, parurent des circonstances propices à son désir. Il croyait toucher le but. Ses amis se réjouissaient déjà d’avoir contribué à la victoire. Ses amis ? lesquels ? Était-ce Victor Cousin, devenu dès lors un personnage, et si puissant dans les choses de l’instruction publique, soit par lui-même, soit par ses collègues de la Sorbonne ? Hélas ! c’est le moment où ces grandes effusions de 1825 se tournent pour lui en amertumes et en déboires. Était-il dupe d’une illusion quand il voyait dans Cousin le plus tendre, le plus dévoué des amis ? ou bien est-ce l’enivrement du pouvoir qui a fait de Cousin un autre homme ? en un mot, est-ce Cousin qui a changé, est-ce lui-même ? Dès le lendemain de la révolution (septembre 1830), il s’aperçoit que Cousin a perdu la tête à son avènement. Il écrit un mois après (octobre 1830) : « Croiriez-vous que notre ami M. Cousin a conçu contre moi la plus misérable jalousie ? C’est pourtant la vérité. » Pour moi, j’ai peine à le croire. Jalousie n’est pas le mot propre. La vérité est que M. Cousin, dans l’élan du triomphe, entraîné par un esprit d’ambition et de domination, très condamnable sans doute, mais qui n’avait rien de bas, sentit que ses relations avec Quinet lui devenaient une gêne. Il s’en dégagea sans plus de façon, avec cette humeur fantasque et railleuse qui remplaça si promptement chez lui les enthousiasmes de la jeunesse. N’allez pas vous imaginer pourtant que la transition de la part de Cousin ait été brusque et blessante ; il avait trop d’esprit pour cela. À chaque rencontre, il continuait de le traiter de la manière la plus aimable : poignées de main, complimens, protestations, rien n’y manquait. Seulement Quinet avait cessé d’être dupe ; je me sers ici de son langage, car le poète était persuadé qu’il avait été dupe des premières tendresses de Cousin. Il se trompe, Cousin était sincère à cette date ; il suffit de dire que le pouvoir l’avait rendu soupçonneux et sceptique. L’ardent promoteur de 1825, le directeur universitaire de 1830, ce sont des personnages tout différens.

Pourquoi donc Quinet, dans les lettres qui suivent 1830, est-il si dur pour Victor Cousin, lui ordinairement si doux, si dégagé

  1. Edgar Quinet, Allemagne et Italie, 1839, Ier vol., p. 243.