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langage et le sentiment religieux, quand la pensée n’est pas éveillée sur les conséquences, se complaisent dans une certaine prédestination qui fait trembler les uns et qui rassure les autres. Le fait est que musulmans et chrétiens se sont divisés sur ce problème, que ni théologie ni philosophie n’a encore résolu au gré de tout le monde. Il est même une école musulmane, celle des mutazalites, qui enseigne à peu près ce que nous appelons la liberté d’indifférence. Les divers partis ont su puiser dans le Koran des argumens contradictoires. N’en est-il pas encore comme chez nous ? Si donc on argue du fait que les peuples mahométans en général professent aujourd’hui un fatalisme qui éteint chez eux toute énergie réformatrice et progressive, il faudrait en chercher la cause bien plutôt dans des circonstances de climat et de race que dans l’influence proprement dite du Koran.

Il est moins facile de disculper l’islamisme d’avoir érigé la guerre religieuse en moyen légitime et même obligatoire de propager la vraie foi. C’est depuis son arrivée à Médine, nous l’avons dit, qu’un changement significatif s’opéra sur ce point dans l’esprit du prophète. Convaincu de l’inutilité des miracles pour forcer les récalcitrans à se convertir, il lui sembla qu’il ne restait d’autre moyen que l’épée. Les exigences de ses partisans, les attaques des Mecquains, furieux de ce que leur ennemi leur avait échappé, tout poussa Mahomet à faire la guerre. Général de rencontre, il se trouva vainqueur d’une façon inespérée, et les résultats de ses premiers succès furent de nature à le confirmer dans l’idée qu’il pouvait achever par le glaive ce qu’il avait commencé par la parole. Les califes continuèrent et fondèrent avec une rapidité éblouissante un des plus merveilleux empires du monde. Il n’y en a pas moins là, à notre point de vue moderne, un élément d’infériorité incontestable quand on compare l’islamisme au christianisme de Jésus et des premiers apôtres. Seulement il ne faut pas oublier que la chrétienté n’est familiarisée que d’hier avec l’idée que la force est sans droit en matière religieuse. Les guerres faites par les chrétiens sous prétexte de répandre la vérité divine ne diffèrent des guerres musulmanes que parce qu’elles furent encore plus intolérantes, encore plus atroces. Que l’on pense seulement aux guerres d’extermination de Charlemagne contre les Saxons, d’Othon le Grand contre les tribus slaves de la Baltique, des croisés du nord contre les Albigeois, des Espagnols au Mexique et au Pérou, sans compter tant d’autres explosions plus modernes du fanatisme chrétien, et l’on conviendra qu’il y aurait une souveraine injustice à faire retomber sur l’islamisme seul la responsabilité des guerres religieuses. L’islamisme n’a pas connu d’institution infernale comme l’inquisition. L’esprit occidental moderne, dégoûté, harassé des guerres religieuses, confirmé dans sa