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commun des hommes. Les défaites qu’il subit plus d’une fois ne l’ébranlèrent pas un moment. On peut même citer plusieurs beaux traits. Un jour qu’il s’était endormi sous un arbre loin de son camp, il aperçut en se réveillant Durthur, un de ses plus grands ennemis, debout devant lui, une épée nue à la main. « Mahomet, s’écria celui-ci, qui pourrait en ce moment te sauver ? — Dieu ! dit le prophète d’un ton grave. » Saisi d’une terreur religieuse, Durthur laissa tomber son épée, Mahomet la ramassa. « Durthur, s’écria-t-il à son tour, qui pourrait maintenant te sauver ? — Personne, répondit-il. — Eh bien ! apprends de moi à devenir miséricordieux, » Et il lui rendit son épée. Lui-même ne prétendait nullement à la sainteté parfaite. Comme la belle Ayisha, sa favorite, lui demandait s’il n’entrerait pas tout droit en paradis en vertu de ses mérites : « Non, lui dit-il, et Dieu devra me couvrir de sa miséricorde. » Quand il eut rendu le dernier soupir, le fougueux Omar tira son cimeterre et déclara qu’il couperait la tête à quiconque oserait dire que le prophète était mort. Et ce fut en rappelant la doctrine constante du prophète que le vieil Abou-Bekr, l’un de ses plus anciens amis et le premier des califes, calma l’exaltation d’Omar. « Est-ce donc Mahomet, lui dit-il, ou le Dieu de Mahomet que nous avons appris à adorer ? »

Pour avoir de tels amis qui l’avaient longtemps suivi de près, pour inspirer tant d’affection et de confiance, il faut bien que Mahomet ait déployé des qualités personnelles dont ses fautes n’ont pas affaibli le prestige. Sir William Muir, orientaliste distingué, a pu remonter jusqu’à des sources très rapprochées de la toute première tradition pour nous tracer le portrait physique du prophète arabe. Il était de taille moyenne et bien proportionné. Sa tête était forte, et à travers un large front, au-dessus de sourcils arqués et finement dessinés, courait une veine proéminente qui, dans les momens de colère, se colorait en brun. Ses yeux étaient d’un noir de charbon, d’un éclat perçant. Il portait la barbe longue comme tous les Orientaux. Il marchait d’un pas ferme et rapide. Entre ses épaules, on remarquait le fameux signe, en forme d’œuf de pigeon, où ses disciples voulaient voir la marque de sa vocation prophétique. Le plus souvent silencieux, il ouvrait tout à coup la bouche pour émettre quelque parole grave, quelque sentence ou proverbe dans le goût arabe. Quand il riait, c’était de bon cœur et en montrant ses dents qu’il avait fort belles. Il aimait les animaux et les enfans, et il était extrêmement fidèle à ses amitiés. Il avait l’habitude des ablutions fréquentes et des parfums ; du reste sa vie était fort simple, il habitait avec ses femmes un groupe de maisonnettes séparées l’une de l’autre par des parois de palmiers cimentés avec de l’argile. Il ne