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procuré le bénéfice de l’actualité. Nous sommes presqu’aussi intéressés que les Anglais dans cette discussion d’histoire religieuse. L’impératrice des Indes compte sans doute presqu’autant de sujets musulmans que de sujets chrétiens. Mais nous avons aussi nos sujets musulmans, et tous les peuples civilisés à cette heure ont les plus sérieux motifs de sortir du clair-obscur en face d’un problème qui s’impose avec une urgence que chaque jour voit accroître. Avant de se décider sur ce qu’il convient de faire des musulmans, il conviendrait de savoir ce qu’il faut penser de l’islamisme.


I

Ce qui fait tout à la fois la faiblesse et l’attrait du mahométisme, c’est qu’il est né en pleine histoire. Des grandes religions qui se partagent l’humanité, c’est la seule dont nous puissions étudier les origines dans une complète sécurité d’esprit. Rien de cette pénombre mystérieuse où se dérobent les formes premières du mosaïsme, du bouddhisme, du christianisme lui-même. On connaît assez bien l’état social et religieux des Arabes avant Mahomet ; on connaît parfaitement la vie du prophète, ses antécédens, ses fluctuations, ses exploits et ses fautes. Luther et Milton ne sont pas plus exposés au grand jour de l’histoire. Mahomet n’est point, quand on comprend bien l’islamisme, l’objet direct de la foi de ses disciples, comme Jésus et Bouddha l’ont été de la grande majorité des chrétiens et des bouddhistes, il est exclusivement prophète, révélateur ; mais il n’en a pas moins imprimé son sceau personnel à la religion qu’il a fondée. Ce mélange de mysticisme passionné et de sécheresse dogmatique, qui fait de son caractère religieux l’un des plus curieux de l’histoire, n’a pas cessé de distinguer la piété musulmane partout où elle s’est maintenue vivante et pure d’alliage hétérogène. Le Koran, qui relève incontestablement de son inspiration, est monotone, d’une lecture fatigante, étroit, souvent puéril. Il n’a pas, comme la Bible, l’avantage de réunir des livres d’origines et de formes très distinctes, pleins de mouvement, de variété, de drame. Il y a pourtant des sentences de Mahomet d’une originalité vigoureuse et d’une haute portée morale, celle-ci, par exemple, en l’honneur de la bienfaisance :


« Quand Dieu eut fait la terre, elle vacillait de çà et de là jusqu’à ce que Dieu eût fait les montagnes pour la tenir ferme. Alors les anges lui demandèrent : « O Dieu, y a-t-il dans ta création quelque chose de plus fort que les montagnes ? — Et Dieu répondit : Le fer ; car le fer est plus fort que les montagnes, puisqu’il les fend. — Et dans ta création est-il quelque chose de plus fort que le fer ? — Oui, le feu est plus fort que le fer, car il le fond. — Et est-il quelque chose de plus fort