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départie au genre humain ; il ne lui connaît de supérieur que le christianisme ramené à son principe originel, et il n’hésite pas à lui attribuer une supériorité positive sur bien des christianismes déformés. On serait tenté de croire qu’aux yeux de M. Gladstone le tort proprement dit du Turc, ce qui explique au fond ses erreurs et ses crimes, c’est qu’il est musulman, tandis que, selon M. Bosworth Smith, le Turc, ou du moins son gouvernement, déshonore l’islamisme par ses infidélités à la véritable loi du Koran. En un mot, d’accord pour blâmer sévèrement la politique ottomane, les deux écrivains, quand il s’agit de l’islamisme, sont séparés par toute la distance qui va du parce que au quoique.

Nous serions pour notre part très enclin à décerner en cette rencontre la palme de la pénétration à l’assistant-master de Harrow plutôt qu’à l’illustre représentant du libéralisme anglais. Nous n’entrerons pas dans la recherche des motifs qui ont déterminé une grande partie du public anglais, sous l’impulsion de plusieurs de ses plus éminens leaders, à changer de position sur le terrain des affaires orientales juste au moment où elles se compliquaient de la façon la plus critique. Il nous suffit que le fait lui-même soit constant. Or nous avons toujours entendu dire aux hommes compétens qu’un changement de position s’exécutant sous le feu de l’ennemi est une manœuvre dangereuse, et il faut bien reconnaître que celui-ci s’opère en face des batteries de la diplomatie russe, qui a l’avantage de n’avoir pas à bouger de la place qu’elle occupe depuis longtemps. Il s’agit pour l’Angleterre de s’établir sur une position nouvelle qui lui permette de coopérer à l’émancipation des populations chrétiennes de la Turquie sans contribuer par cela même aux progrès de la puissance dont elle redoute le plus les envahissemens. Il fut un temps où, d’accord avec un gallant ally de l’autre côté du canal, elle aurait pu sans trop de risques défier les difficultés d’un pareil changement de front. Mais ce temps n’est plus, et une autre alliance, prônée un peu étourdiment à l’heure de nos revers comme plus efficace et plus sûre que la nôtre, n’a pas précisément réalisé les espérances que l’on fondait sur elle. Et voici le dilemme fort embarrassant de la politique anglaise à l’heure où nous sommes : elle ne peut évidemment pas joindre ses efforts à ceux de la Russie pour améliorer un état de choses devenu intolérable, mais, au train dont vont les choses, elle risque de se trouver isolée, de laisser sa rivale bénéficier seule des changemens qui sont à la veille de modifier profondément l’Europe orientale, et c’est ce que M. Gladstone et ses amis ont clairement compris ; d’autre part, il lui est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de s’associer, soit à la dislocation, soit même à la mise en tutelle de l’empire ottoman sans porter un coup terrible à la suprématie