Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certitudes natives, fondement du savoir, un système de probabilités physiques aux nuances variables et variées.

Mais ne faut-il pas prolonger en sens inverse la ligne des probabilités vers les choses métaphysiques, dont les sens ne jugent pas ? M. Cournot pense que l’absolu n’est même pas objet de présomption et d’induction. C’est chimère, suivant lui, quand nos points de repère les plus fixes et les plus immuables se déplacent et se meuvent, que de prétendre atteindre l’immobile. Cette sentence est vraie. Dans l’ordre du mouvement, l’absolu échappe à nos prises. Mais est-ce là qu’il faut le chercher ? Nous concevons tous, philosophes et savans, métaphysiciens et positivistes, par contraste avec les existences soumises aux vicissitudes du temps, de l’espace, du nombre et de la causalité, une existence affranchie de toute limite et de toute relation, qui tiendrait d’elle-même sa raison d’être. Cette notion est le résidu de toutes les métaphysiques, quand on en a défalqué les façons diverses dont chacune se représente l’absolu. Les positivistes eux-mêmes en témoignent. L’existence en soi, n’est-ce pas cet océan sans bornes que, d’après eux, la science humaine ne saurait ni parcourir ni sonder ? Mais c’est là une notion vide. Est-il possible de la remplir ? Nous n’avons pas une intuition directe de l’absolu ; autrement les discussions des philosophes auraient pris fin depuis longtemps, et la métaphysique serait aussi solidement assise que la physique. Nous ne pouvons davantage en affirmer ces choses que l’analyse nous découvre comme les conditions de la pensée scientifique, à savoir l’espace, le temps, le nombre, la causalité et la substance. Ce serait en effet y introduire un germe de contradiction et de ruine. Que serait, par exemple, un espace absolu ? — La totalité des étendues ? — Mais l’espace est illimité ; si loin qu’en notre fantaisie nous en reculions les limites, toujours il s’ouvre au-delà. L’espace absolu sera-t-il fini ou infini ? Dans le premier cas, il n’est plus l’espace, puisque l’espace est illimité ; dans le second, ce ne sera rien de réel, puisqu’une quantité infinie réelle est une conception contradictoire. Toute quantité peut être augmentée, et un infini actuellement réalisé ne saurait l’être. Ce serait donc un nombre auquel on ne pourrait ajouter l’unité, c’est-à-dire, suivant la saisissante formule de M. Renouvier, un nombre qui ne serait pas un nombre. De même pour les autres catégories, lorsqu’on essaie de les élever à une puissance absolue. Ainsi, quand, prenant pied sur le terrain de la science, nous tentons de nous élever vers ce qui la dépasse, à chaque élan nous retombons sur le sol.

Cependant l’esprit ne renonce pas pour cela à s’ouvrir une issue hors du relatif. Le sphinx l’attire et l’attirera toujours, car la métaphysique est, comme l’art, une fonction essentielle de l’humanité. Mais les organes qui la desservent ne sont pas ceux de la