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était odieuse ou une église qui leur était un scandale. Une fois arrivés, ils ont trouvé un gouvernement qui allait au-devant de leurs vœux, et qui, lorsqu’ils n’ont plus voulu de lui pour maître, a consenti à leur rester protecteur. En même temps qu’il leur donnait indépendance, ce gouvernement leur donnait les moyens de la soutenir. Les terres australiennes relevaient de la couronne, elle en fit abandon aux colonies lorsqu’elles entrèrent sous le régime constitutionnel, et la vente de ces terres ainsi que la location des pâturages composent une partie considérable des ressources de chacune d’elles. L’indépendance des colonies gagnerait donc peu de chose à une séparation, en revanche leur sécurité y perdrait beaucoup, car il n’est pas un Australien sensé qui ne comprenne que le reste d’autorité que l’Angleterre fait encore peser sur elles est un préservatif contre les mesures précipitées et les innovations malfaisantes que ne manquerait pas de prendre à la légère une population à la fois trop peu nombreuse et trop jeune pour posséder ces classes gouvernantes et lettrées en qui s’emmagasinent les trésors de l’expérience des siècles et qui par leur connaissance des erreurs du passé peuvent en prévenir le retour dans le présent.

Voilà bien des raisons pour que l’union avec la Grande-Bretagne subsiste longtemps ; il en est cependant de plus particulières encore et de moins connues que M. Trollope a réussi pour la première fois à nous expliquer avec une entière lucidité. Par la ressemblance de leurs institutions et l’analogie de leurs intérêts respectifs, les colonies australiennes sont sœurs, mais ces sœurs sont des rivales. Ce n’est pas de jalousies réciproques que naît cette rivalité, mais de difficultés de rapprochement qui rendent impossible entre elles aucun lien fédératif à l’exemple des États-Unis d’Amérique, au moins avant de longues années. L’esprit qui domine en Australie est l’esprit que les Allemands appellent particularisme ; ainsi le veulent l’immense étendue du territoire et le petit nombre de la population. Les distances énormes qui séparent ces groupes isolés opposent leurs intérêts, et par suite de cette circonstance le sentiment d’un intérêt général n’a pas encore eu le temps de naître dans les cœurs australiens. Aussi non-seulement les colonies australiennes n’ont aucun penchant à l’union, mais les divers districts de chacune d’elles ont au contraire une tendance prononcée au fractionnement multiplié. La région nord de Queensland, par exemple, se séparerait volontiers de la région méridionale, et le district de la Riverina de la Nouvelle-Galles du sud. Quoi d’étonnant à cela ? Les habitans de ces régions paient des taxes pour des dépenses dont les distances leur interdiront de retirer jamais le plus petit avantage, et pour le bénéfice d’intérêts que ces mêmes distances leur rendent aussi étrangers que si elles appartenaient à une autre