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n’aurait pu le faire désormais par l’autorité. Laisser aux colonies le soin de gérer leurs propres affaires, leur reconnaître des gouvernemens analogues, à celui qui régissait la Grande-Bretagne, c’était inviter ses nationaux à aller chercher fortune sur une terre non plus seulement dépendante de la mère-patrie, mais faite à son image même. L’émigré n’était plus un exilé volontaire, c’était un citoyen qui échangeait une Angleterre contre une autre, parce qu’il trouvait dans la seconde les biens que la première ne pouvait lui donner, sans rien perdre des droits qu’il tenait d’elle. L’indépendance politique était donc le plus sûr moyen de rendre les colonies florissantes, et en l’accordant l’Angleterre ne faisait pas seulement acte de libéralisme et de justice, elle faisait au profit de ses nationaux une intelligente affaire pratique qui donnait satisfaction de la manière la plus directe au genre d’intérêts que des colonies de la nature de l’Australie sont appelées à servir, intérêts qui visent bien plutôt au bonheur des individus qu’à la grandeur du gouvernement.

Il ne s’est pas non plus manqué de prophètes pour annoncer que cette indépendance politique serait la préface d’une séparation complète d’avec la mère-patrie. Le résultat a été tout contraire à celui que redoutaient ces prophéties. Vingt ans se sont écoulés depuis cette époque, et non-seulement la question de séparation n’a pas été soulevée dans ces colonies, dont deux portent des noms qui sont des hommages à la souveraine actuelle de l’Angleterre, mais le mot même de séparation leur est en horreur. L’Australien songe si peu à rompre les derniers liens qui le rattachent à la mère-patrie qu’il l’accuse de trop s’éloigner de lui et de ne plus lui laisser assez visibles les signes de sa puissance. C’est ainsi que le retrait des régimens anglais a été un vif sujet de chagrin pour les colonies, surtout pour les plus anciennes, qui, formées à une époque où dominait le vigoureux esprit conservateur du vieux torysme, gardent avec un soin, parfois presque superstitieux, le souvenir des vieilles mœurs. Les Tasmaniens, par exemple, désolés de ne plus voir parmi eux d’habits rouges, se sont dédommagés en habillant d’uniformes de cette couleur leurs courriers de malles-postes, mascarade qui leur permet au moins de repaître leur yeux loyaux du simulacre de la livrée d’Angleterre. Quant aux colonies de plus fraîche date, leurs habitans sont pour la plupart de trop récens Australiens pour que le souvenir de la patrie n’ait pas encore conservé beaucoup de sa vivacité. Les sentimens dans lesquels ils ont quitté l’Angleterre ne sont pas faits non plus pour lui aliéner leurs cœurs. Ils l’ont quittée sans rancune et sans haine, par esprit de lucre ou nécessité de vivre, et non comme les émigrés d’autres époques par fanatisme et esprit de secte ; ils n’ont pas fui une autorité qui leur