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affectueux de ces jeunes et poétiques amours. De loin en loin, sans doute, exilée sur le continent, elle a bien quelque parole gracieuse pour l’époux qu’elle ne doit plus revoir, une pensée parmi ses préoccupations ambitieuses, un sourire à travers ses larmes : « Je croyais que l’air de France me guérirait, mais il faut aussi un peu de celui d’Angleterre ; » mais ces lettres sont surtout des lettres d’affaires, des lettres pressées, précises, tranchantes, impératives. Au fond, c’est Charles qui aime, et c’est Henriette qui se laisse aimer. C’est le roi qui a de doux reproches : « L’ordinaire vient d’arriver, mais rien de toi. Vraiment, j’aimerais mieux une gronderie que ton silence ; mais fais ou ne fais pas comme tu voudras, je suis et je serai éternellement à toi. » C’est lui qui a de ces cris du cœur quand, apprenant que la reine est près d’accoucher dans Exeter, menacé d’un siège, il écrit à son premier médecin, sir Th. Mayerne, ce billet laconique : « Mayerne ! pour l’amour de moi, allez à ma femme ! » On dirait que l’air d’Angleterre est mauvais aux filles de France, et des juges sévères pourraient trouver à Henriette-Marie plus d’un trait de ressemblance avec l’indomptable Marguerite d’Anjou. Malade et se traînant à peine, elle a de ces commencemens de lettres qui trahissent la passion dans la naïveté de sa violence : « Mon cher cœur, si rien au monde me peut guérir, ce doit être la venue de Seymour, pour la joie que j’ai eue de la défaite d’Essex ; cela me fit aller toute seule pour parler à lui. » Mais qu’importe, et que servirait-il d’insister ? Nous aurions pu tirer du livre de M. de Baillon de cruelles leçons ; on les trouvera dans les historiens de la révolution d’Angleterre. Nous avons mieux aimé y indiquer une histoire d’amour. Si l’intérêt des correspondances intimes est quelque part, il est là, dans ces détails domestiques qui révèlent la femme sous la reine et, sous le masque impassible d’un roi qui remplit son rôle, un homme qui ressemble à tous les autres hommes. Et puis ne sied-il pas à la postérité d’être indulgente et douce à ceux que la vie de ce monde a traités durement et qui ont expié l’honneur d’être nés sur les marches d’un trône, dans les austérités d’un couvent comme la fille d’Henri IV, ou sur l’échafaud, comme Charles Ier, roi d’Angleterre et d’Ecosse ?


FERDINAND BRUNETIERE.


Le directeur-général, C. BULOZ.