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d’être associée à tant de gloire, et quand, dans quelques jours, elle reposera à Delft, à côté du taciturne, qu’elle admirait, son tombeau sera un sceau de plus au pacte d’union de la Hollande et de la maison d’Orange, c’est-à-dire à la charte fondamentale de la nationalité du pays.

Elle aimait aussi la France. Le jour de son mariage, en 1839, à Stuttgard, le ministre protestant qui prêchait crut devoir relever son sermon par une diatribe contre Napoléon. Un jeune homme de dix-sept ans, cousin germain de la princesse, se leva et sortit. Ce fut dans cette petite cour un esclandre, une grosse affaire. « Si j’avais pu, j’aurais fait comme lui, » dit-elle. La grandeur de l’épopée française, comprenant deux parts indissolubles, la révolution et l’empire, s’était de bonne heure emparée de son imagination. Elle nous aimait avec nos défauts. Nos écrivains, nos artistes, nos hommes d’esprit, lui étaient familiers ; elle les connaissait souvent mieux que nous. Même notre démocratie, elle en était curieuse. Elle craignait tant de passer inattentive à côté de ce qui peut avoir quelque chance d’avenir ! Pauvre France ! elle lui pardonnait, car elle savait qu’une grande âme est derrière ses fautes et qu’un jour l’enfant prodigue sera préféré à ceux qui n’ont jamais péché.

C’est ainsi que cette reine, la plus allemande peut-être des princesses de notre siècle, n’a eu que de la sympathie pour ce que des fanatiques appellent l’ennemi de race. Elle aimait à la fois la France et l’Allemagne, et elle avait raison. Les nobles choses, loin de s’exclure, se tiennent et s’appellent, et nous maintenons que les grands Allemands d’autrefois reconnaîtraient bien plus leurs vrais fils spirituels dans ceux qui depuis dix ans protestent contre une politique violente que dans ceux qui se laissent éblouir par ces coups de force. La reine souffrit cruellement le jour où elle vit ce qu’elle avait adoré comme une aspiration à la justice devenir une négation brutale de tout principe idéal. L’unité allemande avait été son rêve ; mais elle la voulait autrement faite. Elle reconnaissait à peine l’Allemagne de sa jeunesse dans cette imitation des défauts de notre premier empire, dans ce dédain transcendant de toute générosité, dans cette façon de reprocher aux autres d’imiter les exemples de réforme intérieure que l’Allemagne en ses beaux jours a donnés à tous les peuples.

Cette vie ardente se consumait elle-même ; une sorte de feu intérieur dévorait une nature que rien ne laissait insoucieuse. Ce n’est pas que la reine ne sût se reposer. Sa tranquille Maison du bois, près de La Haye, respirait le calme et la sereine gaîté. Des études historiques, où elle se complaisait et par lesquelles elle cherchait à se distraire des appréhensions du présent, étaient pour son esprit un régime excellent. Néanmoins des symptômes graves se manifestaient du côté du cœur. Au mois de décembre dernier, quand la reine vit Paris pour la dernière