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cependant qu’il n’y ait des ombres au tableau, et peut-être avons-nous eu tort de l’accuser prématurément de partialité : M. Daniel avoue que l’Allemand n’a point une exacte idée de sa propre valeur, et il lui reproche de trop admirer l’étranger et ce qui en vient. Voilà un défaut dont il s’est personnellement affranchi.


IV

Après l’exposé de l’histoire générale de l’Allemagne, les deux écrivains passent en revue les différens états de l’empire. M. Daniel aurait beaucoup à prendre dans le livre français, ici encore. Il verrait par exemple, en étudiant le résumé de l’histoire de la Prusse, comment un Français, écrivant l’histoire d’un peuple qui nous a si cruellement fait payer sa victoire, sait reconnaître que ce peuple a mérité sa fortune. A un autre point de vue, en lisant le chapitre consacré à la Suisse, il s’initierait à l’art, un peu négligé par lui, de faire toucher au lecteur les relations intimes qui unissent la géographie à l’histoire, et d’expliquer clairement des choses difficiles ; mais nous ne pousserons pas plus loin la comparaison entre les deux ouvrages. On a bien vu ce que nous voulions montrer.

Nous nous garderons de conclure que tout le monde en France pense aussi sagement que l’écrivain dont nous avons loué l’œuvre, et que tous les Allemands aient l’orgueil grotesque qui dépare le livre de M. Daniel. Des deux côtés, des hommes de raison calme et forte apprécient comme il convient les qualités différentes des deux nations, et pèsent avec de justes poids la part qui revient à chacune d’elles dans l’œuvre commune de l’humanité. Ils connaissent les lois de l’histoire que le vulgaire appelle les inconstances de la fortune, et qui, ne souffrant point l’égalité entre les puissances de la terre, veulent qu’on soit tour à tour élevé, puis abaissé ; En France, ces hommes acceptent la défaite et ses conséquences ; en Allemagne, ils reconnaissent la légitimité des efforts que fait notre pays pour se relever. Des deux côtés aussi se trouvent des esprits faux et des âmes passionnées ; mais c’est une injustice que de rejeter sur nous seuls des torts qui sont au moins partagés.

Que dirait-on en Allemagne si, dans un livre de science et d’éducation, nous parlions de nous comme M. Daniel parle de ses compatriotes ? si nous revendiquions pour nous seuls toutes les vertus, petites ou grandes, et que, par surcroît, nous ne fussions satisfaits qu’après avoir opposé à chacune de ces vertus un vice de nos voisins ? Certes nous avons le droit, nous aussi, d’avoir la nostalgie de notre grandeur diminuée, de notre gloire amoindrie, et de jeter un triste regard au-delà des Vosges. Le mal qui nous a été fait est incalculable. La France avait concilié en elle-même bien des oppositions de races et de tempéramens. Elle avait cet inappréciable privilège que chacune de ses