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abolissaient des droits garantis aux membres de l’empire en Alsace, la Prusse et l’Autriche, réconciliées contre nous, sont vaincues tour à tour : les traités de Bâle, de Campo-Formio et de Lunéville nous donnent la rive gauche du Rhin. Pour dédommager les princes dépossédés, le recez de 1803 sécularise les principautés ecclésiastiques et médiatise les villes libres : la simplification commence. Le vieil empire n’est plus qu’une forme surannée du passé : elle s’évanouit après Austerlitz. Alors viennent les remaniemens de territoire, ordonnés par Napoléon, la suppression d’une foule d’états qui gênaient l’empereur ou dont il avait besoin pour les combinaisons d’une politique qui s’acharnait contre l’impossible : en 1806, institution de la confédération du Rhin, où disparaît une quantité de petites principautés souveraines ; en 1807, création du royaume de Westphalie ; en 1810, annexion à l’empire français de territoires qui, des rives du Rhin, s’étendent jusqu’au littoral de la Baltique. Là s’arrêta « ce jeu de provinces, » comme dit M. Himly. « Le grand niveleur avait déblayé le terrain, et fait à jamais disparaître la majeure partie des épaves d’un ordre de choses qui s’était survécu à lui-même. » A force de triturer l’Allemagne ancienne, Napoléon avait préparé l’Allemagne moderne, comme Charlemagne avait fait l’Allemagne du moyen âge.

En 1815 apparut le progrès accompli. Tous les princes dépossédés eurent beau réclamer : il n’y avait plus de place au soleil pour ces revenans. Des centaines d’états qui existaient en 1789, trente-neuf survivent et comptent dans la confédération germanique. La nouvelle constitution de l’Allemagne était imparfaite encore ; elle laissait subsister dans plus d’un canton le spectacle de la polyarchie féodale ; la diète était une lourde machine, difficile à mouvoir ; mais l’Allemagne avait du moins une organisation militaire défensive assez redoutable pour que personne, durant un demi-siècle, n’ait songé à l’attaquer. Ce progrès ne suffisait pas aux patriotes allemands, qui, non contens de la gloire intellectuelle acquise par leur pays, ou plutôt surexcités par cette gloire même, rêvaient l’unité, pour avoir la force. Leur rêve semblait loin de s’accomplir. Ils avaient contre eux toute l’histoire de l’Allemagne et sa géographie, car « il manque à l’Allemagne un phénomène physique dominant, qui impose une unité supérieure au plateau danubien, à la vallée du Rhin et à la plaine de la Basse-Allemagne. » Contre eux encore était la nature même de l’esprit germanique, car « le particularisme tudesque, qui a aidé à constituer des peuples complètement autonomes dans les hautes vallées des Alpes et à l’embouchure des grands fleuves néerlandais, avait, de tout temps, tenu profondément séparées les tribus de la Haute-Allemagne et celles du bas pays ; depuis le XVIe siècle, la scission religieuse avait entraîné à sa suite l’antipathie confessionnelle, entre l’Allemagne du Nord, presque entièrement protestante, et l’Allemagne du midi, restée en majeure partie catholique. » Contre eux