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adressent ? Ils se fient évidemment à notre ignorance des choses du dehors, car ils nous fournissent tous les jours ample matière à réplique. Les préjugés, l’injustice, le mensonge, ne sont pas relégués derrière tel cours d’eau ni confinés dans telle race : il faut démontrer cela de temps à autre, non pour taquiner un peuple qui n’est pas endurant, mais pour défendre notre honneur scientifique, qui est une partie de notre honneur national. Une occasion de cette sorte nous est offerte par la publication du livre de M. Himly, professeur à la Faculté des lettres de Paris, sur l’Histoire de la formation territoriale des états de l’Europe centrale : les Allemands ont un livre tout semblable, qui jouit chez eux d’une grande autorité, celui de M. Daniel, professeur à l’École royale pédagogique de Halle. On verra bien, en comparant les deux œuvres, si c’est chez l’écrivain étranger qu’il faut chercher l’amour désintéressé de la vérité, cette vertu allemande sur laquelle les prétentions des Latins sont si vaines, au dire des Allemands.


I

M. Daniel ne perd pas de temps pour se faire connaître : dès qu’il a décrit les frontières de son pays, on sait ce qu’il veut. Il hésite un peu à marquer la limite orientale et reconnaît que, depuis Tacite, on n’a jamais bien su à quoi s’en tenir sur ce point ; mais ailleurs pas d’incertitude : la frontière, c’est, au midi, la chaîne des Alpes, du lac de Genève au golfe de Fiume ; au nord, la Baltique et la Mer du Nord jusqu’à Calais ; à l’ouest, les collines qui vont du cap Gris-Nez à l’Argonne, l’Argonne, le plateau de Langres, les Faucilles, le ballon d’Alsace, les hauteurs entre Rhin et Rhône, le Jura, jusqu’au lac de Genève. La frontière du nord enveloppe sans hésitation le Danemark ; celle du sud, la Suisse ; celle de l’ouest, la Flandre française, partie de la Champagne, ce qui nous reste de la Lorraine, partie de la Bourgogne, la Franche-Comté, la Belgique, le Luxembourg, la Hollande. L’auteur a mis un soin particulier à tracer sa ligne de démarcation entre la France et l’Allemagne ; il s’excuse sur la nécessité où il est réduit de parler net et haut : Le pire sourd, dit-il, est celui qui ne veut pas entendre.

Par respect pour les préjugés, M. Daniel a omis les parties du territoire français qui ont été par nous usurpées au-delà de nos frontières naturelles, mais il considère la Belgique, la Hollande et la Suisse comme « les états extérieurs de l’Allemagne, » à laquelle ils ont appartenu jadis, et qui « déplore aujourd’hui encore la perte de ces nobles membres. » Il ne prétend pas que ces membres, à leur tour, se souviennent d’avoir appartenu au corps germanique ; même il tance le Danemark, qui met son « orgueil de marmouset » à vouloir vivre dans l’isolement ; mais il trouve en Belgique et en Hollande des sympathies notables :