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des Européens) Le gouverneur d’alors, le général d’Orea, prévenu dans sa maison de campagne de ce qui se passait à la ville, réunit autour de lui les régimens restés fidèles, et donna à son tour l’assaut à la forteresse, qui, faute d’un nombre suffisant de défenseurs, ne pouvait offrir qu’une faible résistance. Samaniego, blessé au moment où il dirigeait contre les troupes régulières le feu d’une pièce de canon, lutta jusqu’à la mort ; mais ses compagnons, en de voyant expirer, perdirent leur sang-froid. Le cri de « sauve qui peut ! » fut bientôt jeté, et les insurgés durent se déclarer vaincus. Ceux que l’on trouva les armes à la main furent fusillés sans jugement. D’autres, que l’on découvrit dans les combles quelques heures plus tard, passèrent dès le jour même du banc des accusés à celui des suppliciés.

Il y a eu d’autres soulèvemens aux Philippines ; mais, comme ceux que nous venons de relater, ils ont été locaux et ne se sont jamais propagés de manière à faire courir un grand danger à la domination espagnole, à l’exception cependant de deux dont nous allons parler. Les insurgés se sont contentés presque toujours de châtier ceux dont ils voyaient avoir à se plaindre. Pour les faire rentrer dans l’ordre, il a suffi généralement d’envoyer un régiment indigène au centre des provinces révoltées, ou d’ordonner le remplacement des fonctionnaires détestés.


IV

C’est notre première révolution qui obligea l’Espagne à donner la vie politique aux créoles des possessions d’outre-mer aussi bien en Amérique qu’aux Philippines. Lorsqu’on apprit à Manille que des hijos del pais auraient désormais le droit de se faire représenter aux cortès, un souffle de liberté les électrisa, et ils acclamèrent avec enthousiasme le régime constitutionnel que la Péninsule, devenue à son tour révolutionnaire, venait d’adopter. Mais cette période n’eut qu’une courte durée ; la réaction ne tarda pas à relever la tête, et le despotisme absolu des rois espagnols plongea les colonies dans de nouvelles ténèbres. L’Espagne perdit alors une grande partie de ses possessions d’Amérique ; la crainte de voir un Bolivar ou un Iturbide surgir aux Philippines fît qu’elle y appliqua un système des plus dangereux. C’est surtout à l’égard des créoles qui avaient salué avec trop d’ardeur, de 1820 à 1823, le retour du régime représentatif que se manifesta une défiance odieuse. Des Espagnols, hijos del pais, des métis, de pauvres Indiens furent déportés sans interrogatoire et sans un simulacre de jugement. On vit des capitalistes, des prêtres, des avocats enlevés brusquement à leurs foyers, jetés en prison ou envoyés sous bonne