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Indien était, — chose rare, — rentrée dans son pantalon à bandes de satin ; un bolo, long poignard contenu dans une gaine en bambou, pendait à son côté droit au moyen d’une ceinture en soie de Chine, son salacot, — sorte de chapeau chinois en cornes de buffle transparentes, et enrichi d’ornemens en argent, — couvrait sa tête. Ce salacot, d’un diamètre très grand, laissait entièrement dans l’ombre la figure de celui qui le portait. Après que le tulisan eut attentivement examiné mon fusil, je lui offris quelques cartouches en l’engageant à s’en servir ; il accepta tout joyeux, et je le vis abattre aussitôt plusieurs énormes chauves-souris. Au moment où il me rendit mon arme, et pour qu’il n’eût jamais envie de me la reprendre, je lui expliquai qu’elle ne pouvait lui être d’aucun usage en raison de la charge toute spéciale qu’elle nécessitait. Il savait déjà sans doute que les cartouches des fusils Lefaucheux arrivaient d’Europe à Manille toutes faites, car je ne le vis exprimer aucun désappointement. Après m’avoir salué de nouveau, le jeune bandit disparut avec ses compagnons dans un bois de bambou. Mon hôte m’avoua alors que ce chef de tulisanes était son frère, condamné à mort par contumace pour avoir assassiné une femme dans un accès de jalousie. « Pobrecito, ne manqua-t-il pas de me dire, no es lastima ? Pauvre garçon ! n’est-ce pas pitié ? »

Dans le chiffre de la statistique judiciaire que nous avons donné, on remarque qu’il n’y a eu qu’un accusé pour outrage à la religion. En 1842, l’exaltation d’un fils du pays, promoteur d’un schisme religieux, motiva cependant la répression aussi sanglante qu’inutile d’un millier de malheureux. Un jeune Indien de la province de Tayabas vint à Manille à cette époque avec le désir d’entrer dans les ordres monastiques et d’en suivre la règle ; mais depuis le commencement de ce siècle cette faveur a été refusée aux indigènes, et Apollinaire, — c’est le nom du jeune Indien, — dut borner son ambition à se faire admettre dans la confrérie de Saint-Jean-de-Dieu, composée entièrement de fils du pays. Après un certain temps passé avec les compagnons de son ordre, Apollinaire retourna dans sa province afin d’y établir un culte tout à fait spécial en l’honneur du bienheureux Joseph, le saint époux de la Vierge Marie. Par ses lectures, ses études et son assiduité aux prêches à l’époque où il était à Manille, Apollinaire était devenu un grand prédicateur, et la foule, avide de son éloquence, se portait dans tous les lieux où il annonçait la célébration d’une neuvaine en faveur de son saint favori.

Les moines franciscains, qui desservaient les principales cures de la province de Tayabas, devinrent bientôt jaloux de l’ascendant que le nouvel apôtre exerçait sur leurs ouailles. Ayant appris qu’Apollinaire sollicitait à Manille l’autorisation de former une confrérie,