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sauvages que des bandits, le visage noirci, livrent nuitamment aux populations des campagnes. Au moment où de riches provinces jouissent d’une quiétude profonde, on apprend tout à coup que des bandes d’Indiens, composées de 30 à 40 individus, se réunissent, cachés dans les bois ou dans des sites d’un accès difficile, à quelques kilomètres d’un des plus riches villages. Ces groupes de malfaiteurs sont formés de soldats déserteurs, de contumaces et d’évadés des bagnes ; on leur donne le nom de tulisanes''. Ils ont un capitaine auquel est due une obéissance absolue ; si le chef est suivi d’une femme, elle prend le titre de capitana, et chaque bandit est tenu de lui obéir. Le moindre des méfaits de ces Indiens vagabonds est d’arracher aux Européens qu’ils rencontrent les armes dont ils sont porteurs, ou de couper la langue aux alguazils indigènes les plus acharnés à les poursuivre. C’est lorsque la nuit est claire, au moment où la lune est dans tout son éclat, qu’ils vont surprendre un village endormi, piller les maisons des plus riches habitans, violer les jeunes femmes, tuer les vieillards, et mettre le feu au pueblo afin que la population, occupée à éteindre l’incendie, ne puisse les poursuivre. On les a vus également se réunir pour venger les mauvais traitemens infligés à l’un d’eux par un maître injuste et violent.

Les chefs des tulisanes sont remarquables par leur bravoure. Dans les rencontres qu’ils ont avec les soldats, on les voit s’exposer au feu avec une intrépidité rare ; ce courage est dû à une singulière croyance. Chaque capitaine porte au cou une amulette, un antin-antin qui préserve des balles : c’est tantôt une médaille de la Vierge ou d’un saint, une vieille monnaie, un scapulaire, d’autres fois un objet bizarre comme un coquillage ou le noyau d’un fruit. Malgré de foudroyantes déceptions, la foi de l’Indien en son antin-antin est tellement enracinée que rien ne peut la lui enlever ; elle donne une audace aux criminels qui leur a valu bien souvent le succès.

Une nuit, et par un beau clair de lune, je chassais les roussettes que l’on trouve en grand nombre suspendues par les pattes aux branches des cotonniers ; tout à coup je me vis entouré par une trentaine de tulisanes. C’était à dix lieues de la capitale, et j’étais accompagné dans ma chasse nocturne par un opulent Indien chez lequel j’avais été invité à venir passer quelques jours. Je vis bientôt que mon hôte était en très bons termes avec ceux qui venaient de surgir si opinément autour de moi. « Vvous n’avez rien à craindre, me dit mon compagnon à voix basse, et si je vous ai conduit ici, c’est que j’avais promis au capitaine de ces gens-là de leur montrer un fusil se chargeant par la culasse, arme qui lui est complètement inconnue. » Je tendis aussitôt mon « Lefaucheux » à un individu qui se trouvait devant moi, et qui me saluait timidement. La chemise de cet