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ou de la protection des alcades, elle leur est difficilement accordée.

Dans chaque ville ou village fonctionne un conseil municipal, nommé par les principaux habitans. L’élection des membres de ce conseil, élection à laquelle préside l’alcade assisté du curé, se fait au scrutin secret et avec une certaine solennité. Le gobernadorcillo ou petit gouverneur, le teniente ou son second, et les alguazils, sont également nommés à l’élection et pris dans le conseil. Pour être valables, les élections doivent être soumises à l’approbation du gouverneur civil. Si un alcade fait un rapport contraire aux élus, si le curé ne les trouve pas assez orthodoxes, les choix sont cassés.

Il y a à Manille un tribunal suprême appelé la Real Audiencia. Indépendamment de son président appelé régent, la Real Audiencia se compose de dix juges et d’un procureur ou commissaire du gouvernement ; ce dernier est assisté dans ses fonctions par cinq substituts. Ce tribunal révise les sentences capitales rendues par les tribunaux des provinces ; il en approuve les conclusions ou les casse. Il ne juge cependant pas en dernier ressort les causes civiles qui lui sont soumises, et les parties intéressées peuvent encore faire appel à Madrid. Les procédures, depuis l’instruction judiciaire, l’audition des témoins, l’accusation, la défense, jusqu’à la sentence, se font par écrit. La plus petite affaire rapporte au trésor, rien qu’en papier timbré, une fort belle somme ; le gain pour l’état est énorme lorsqu’un procès est poussé en cassation jusqu’à Madrid ! La justice est gratuite pour les pauvres, mais les petits plaideurs aimaient mieux, il y a peu d’années, porter leurs différends devant les curés, qui tranchaient souvent les questions en faisant donner par leurs sacristains quelques coups de rotin à ceux qu’ils jugeaient de mauvaise foi. Le cheval de bois sur lequel montait le patient pour recevoir les coups sur l’épiderme se voit encore aujourd’hui à la porte de beaucoup de couvens. Pas un condamné ne murmurait, car rarement la sentence était appliquée à faux par le curé ; ce dernier connaît à fond ses paroissiens, il parle leur langue, tandis que l’alcade, fraîchement débarqué de Madrid, ne sait que l’espagnol, et des interprètes gagnés d’avance n’ont aucune peine à égarer le jugement des juges nouveaux dans le pays. Les étrangers, y compris les Chinois, sont jugés par les tribunaux du pays, et en certains cas d’après les lois des Indes, lois plus favorables en somme aux indigènes qu’aux Espagnols.

Lorsqu’un Chinois est appelé en qualité de témoin devant un tribunal, voici la manière dont il prête serment. On lui fait faire d’abord sa déposition à haute voix, puis on lui demande s’il a bien dit la vérité, et s’il osera, pour appuyer son témoignage, couper la tête à un coq d’une blancheur immaculée. « Songe, lui dit l’alcade par l’intermédiaire d’un interprète également asiatique, songe que, si