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quelque soit leur zèle, la fabrication du pays est loin de suffire aux nécessités de la consommation, et d’ailleurs les Indiens ne savent même pas comment on donne de l’apprêt aux tissus. Ceux qu’ils fabriquent sont excellens, durent bien plus longtemps que les articles d’Europe, mais comme les premiers coûtent plus cher, c’est au bon marché que vont les acheteurs. Les filamens dont on se sert pour la fabrication des étoffes du pays, indépendamment des fils qui viennent de l’étranger, sont tirés de l’arbre coton indigène, de l’abaca ou chanvre de Manille, et d’autres végétaux riches en substances textiles. Les provinces d’Ilocos et de Bataan possèdent beaucoup de cotonniers, et c’est dans ces provinces, ainsi que dans celles d’Ilocos et de Batangas, que la fabrication est le plus active. Les guinarès, mélange d’abaca et de coton, se fabriquent principalement à Capiz, à Antique et dans l’île de Négros. Les tissus dans lesquels il n’entre que de la soie, — celle-ci vient de Chine, — se font à Ilocos, à Batangas, à lloilo et à Caloocan. Les Indiennes comme les créoles sont leurs propres couturières, et la confection des robes et autres vêtemens de femme est loin d’avoir ici l’importance que cette industrie offre en Europe. La bijouterie indigène emploie beaucoup de mains. Je ne me souviens plus du nom d’un fripon, d’un compatriote, osons le dire, qui le premier importa aux Philippines une pacotille de bijoux dorés. Sans scrupule il la vendit aux Indiens comme si cette bimbeloterie brillante eût été de l’or véritable ; sa fortune faite, l’aventurier décampa. La fraude ne fût découverte que plusieurs années après son départ ; mais depuis, et quoiqu’il y ait fort longtemps que ce vol ait été commis, tous nos bijoux sont traités avec dédain et acceptés avec défiance. L’expression de oro francés est équivalente chez les Indiens à celle de similor chez nous. Inutile de faire remarquer que les Espagnols et les créoles n’ont pas cette prévention, et qu’ils préfèrent la bijouterie française en raison de sa forme gracieuse à toutes celles que les Anglais et les Allemands importent.

Longtemps avant ce larcin audacieux, les plateros ou orfèvres du pays avaient la coutume de fondre les vieilles onces espagnoles ; c’est avec ce métal, d’un titre supérieur, qu’ils composent encore leurs bijoux, lesquels manquent complètement d’originalité. Si l’on songe qu’il n’y a pas une femme aux Philippines qui ne porte un reliquaire, des boucles d’oreilles et un peigne en or, on peut se figurer quelle quantité d’ouvriers il faut pour suffire à un usage si général. Les femmes riches ne voudraient pas porter le plus petit objet de luxe en bijouterie fausse ; les plus élégantes font incruster des perles, des diamans, des coraux, dans leurs peignes et dans leurs boucles d’oreilles, dont les formes depuis un temps immémorial