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non pontées, de magnifiques pirogues de 30 à 40 pieds de long, et un grand nombre d’autres embarcations plus ou moins importantes.

Une autre industrie du pays est celle de la préparation des fibres textiles : on en fait des nattes, des chapeaux, des voiles pour embarcations légères, des porte-cigares, des sacs à café, à sucre et des hamacs. C’est dans les provinces de Bulacan, Pangasinan, Moron, Batangas, Capiz et Romblon, que l’art de tresser les fibres végétales est le plus développé. C’est à Bulacan que se fabrique cette quantité considérable de chapeaux qui est exportée annuellement en Europe et aux États-Unis d’Amérique. Le chapeau dit de nito, tiré de l’écorce d’un jonc très solide, se tisse aussi dans la province de Camarines. Cette coiffure est assurément supérieure à toutes celles qui proviennent de Panama : elle a la légèreté, la flexibilité et le bon marché que n’a pas sa rivale d’Amérique.

La natte est d’un usage général dans une contrée où la paillasse classique ne peut être employée en raison de la chaleur qu’elle dégage. Avec un drap aussi léger que possible, elle compose le lit d’un Européen ; les Indiens n’ont pas d’autre couche, le drap excepté. Ces nattes, fraîches au toucher, fines et ornées de dessins aux couleurs vives, sont tressées par les petites mains des femmes des districts de Moron et de Tanay. Les plus chères ne valent que 7 ou 8 francs, les ordinaires 1 ou 2. L’emballage des sucres et des cafés, les voiles en latanier dont on se sert pour les embarcations du pays, celles qui s’étendent sur le sol pour sécher et blanchir le sucre au soleil, donnent lieu à des transactions importantes. Malheureusement les travailleurs, au lieu d’employer des textiles d’une grande force, comme celui de l’abaca, ne se servent que de ce qu’il y a de plus inférieur en ce genre.

Bien au-dessus de ces fibres grossières il faut placer les tissus dont l’ananas a fourni la trame délicate. Afin de donner plus de longueur et de force aux feuilles dont on veut extraire les fibres pour le tissage, les Indiens enlèvent le fruit de la plante longtemps avant sa maturité. Lorsqu’ils jugent que les feuilles ont atteint leur complet développement, ils les coupent, les livrent à des ouvrières qui les étendent sur une planche et qui les raclent une à une avec un tesson en porcelaine, de façon à en détacher la substance textile. Lorsque les fibres sont détachées, on les lave, on les sèche au soleil, on les lisse avec un peigne ordinaire de femme, puis on les divise en écheveaux de quatre qualités différentes. La première, appelée lupi, sert à fabriquer les tissus les plus fins du monde. Rien de plus aérien, de plus doux que ces souples étoffes appelées dans le pays tegidos de piña. On en fait des mouchoirs, des canezous et des robes. Une Indienne n’est réellement heureuse que