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sont étendues sur des bambous de façon que l’air circule facilement tout autour. Ce séchage est la partie la plus délicate de toutes ces manipulations ; il ne doit cesser que lorsque les feuilles dégagent un parfum très pur de tabac. La pratique seule l’emporte de beaucoup ici sur la théorie.

Chaque habitant des provinces de Cagayan et d’Isabela, aussitôt qu’il a atteint l’âge de dix-huit ans, est contraint par la loi de planter, pour le compte du gouvernement, 4,000 boutures de tabac, sur une étendue de 70 ares. Il ne peut semer que du tabac. Peu de familles indiennes réussissent à observer cette inique ordonnance parce qu’il leur est difficile de trouver des terrains cultivables à portée de leurs habitations. C’est ce qui arrive pour une région de la province de Cagayan, connue sous le nom de Itaves ; le sol y donne une feuille d’un arôme exquis, d’une finesse, d’une couleur et d’une élasticité parfaites ; mais il reste en friche faute de bras. La situation qui est faite à ces indigènes, situation qui dépasse en arbitraire ce que les Hollandais exigent des habitans de Java, éloigne les travailleurs. La plupart émigrent. Comment en serait-il autrement ? Le gouvernement néglige presque toujours de les payer, et, s’il le fait, c’est en papier-monnaie et parfois avec un an de retard ; aussi la crainte d’une disette y est-elle perpétuelle. C’est encore le gouvernement espagnol qui fixe le prix du tabac acheté aux producteurs, et qui interdit toute autre culture que celle dont il a le monopole. Le trésor colonial gagne à ce système, paraît-il, 25 millions de francs ; certes c’est un joli denier ; mais l’Espagne y perdra deux des plus belles provinces de sa colonie en les transformant, faute de population, en un désert.

Quelques-unes des tribus insoumises, celle des Igorrotes principalement, tribus qui vivent dans la grande cordillère au pied de laquelle se trouvent placées Cagayan et Isabela, ont aussi des plantations, fournissant d’excellens produits. Ces sauvages viennent hardiment les vendre aux habitans des villages chrétiens depuis qu’une loi récente le leur a permis. Rien de mieux ; mais la race soumise doit journellement être tentée de suivre sur leurs hauteurs les Igorrotes indépendans.

Parmi les industries du pays, voici celles pour lesquelles les Indiens montrent plus d’aptitude. C’est d’abord la fabrication des cordages, très active aux environs de Manille et dans la province d’Ilocos. La matière première est d’une abondance extrême ; elle est tirée d’une espèce de bananier appelé abaca dans le pays, chanvre de Manille en France, et musa textilis dans le monde savant. Les produits que donne la corderie à vapeur de Santa-Mesa jouissent d’une grande réputation sur les marchés voisins de l’Indo-Chine,