Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/856

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des figures de pêcheuses, baignent dans une lumière intense. Il vient de cet horizon comme d’acres bouffées d’air salin. M. Napoléon Lepic manie maintenant le pinceau comme son aïeul, le général Lepic, maniait l’épée. La médaille qu’on a décernée à sa marine était bien méritée. C’est une plage des mers du nord, à marée basse. Des bateaux pêcheurs sont ensablés ; la mer monte en écumant, et ses vagues se brisent contre les carènes des navires en poussière d’eau impalpable. Ce tableau, très hardi, est d’une juste impression. Voici encore deux vues méditerranéennes de M. Appian, deux marines éblouissantes de M. Mazure, et le Zuiderzée, de M. Clays, qui a la transparence magique d’un Turner.

Avec les vaches de la Source de Neslette, M. Van Marcke est certain d’obtenir la prime d’honneur à tout concours régional. Les deux admirables bêtes ! Elles viennent de boire à la source, et, toutes tranquilles, elles se sont arrêtées à l’ombre d’un gros arbre et se frottent l’une à l’autre. Il est impossible de peindre les animaux avec plus de relief et plus de vie, ni d’une pâte plus grasse et plus ferme. M. Vuillefroy est aussi un animaliste d’un grand mérite. Dans son Souvenir du Morvan, un groupe de bœufs au pelage roux s’avance vers le spectateur, dans toute l’apparence de la vie. On voit marcher les bœufs et on les entend mugir. N’allez pas leur montrer du rouge !

Dans une immense toile, M. Blaise Desgoffe a méthodiquement posé, sans aucun souci du pittoresque, une partie du bric-à-brac du musée des Souverains : le casque et le bouclier de Charles IX, l’éperon de Charlemagne, une carabine du XVe siècle, un missel enluminé, et beaucoup d’autres choses. Ces divers objets sont appuyés contre la grille d’entrée de la galerie d’Apollon du Louvre ! C’est toujours la même exécution patiente, minutieuse, impassible, froide et léchée, qui, bien qu’on se l’imagine, ne rend nullement l’apparence des objets. Voyez les feuillets de parchemin du missel, où le peintre a copié avec un soin méticuleux les miniatures et les caractères gothiques : ne sonneraient-ils pas comme du fer-blanc ou de la tôle vernie si on y touchait ? Ce n’est pas tout de préciser la forme et la couleur des objets, il faut faire sentir leur matière plus ou moins dense, plus, ou moins diaphane, plus ou moins fluide, leur être, en un mot.

Comparez les Crevettes de M. Bergeret. Le peintre a-t-il exprimé de la même façon l’enveloppe transparente, inconsistante, presque membraneuse des crevettes et la rude et solide carapace des langoustes ? C’est là un tableau peint demain de maître. Une sorte de cloyère pleine de crevettes roses et grises s’ouvre sur un lit de poissons crus, à côté d’une énorme langouste. Il y a une harmonie d’une