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à Lyon, par M. Sicard, est un effet du matin très frais et très vaporeux. La Jetée de Trouville de M. Poirson, qui représente le bateau de promenade pour le Havre rentrant au port, est agencée avec beaucoup de pittoresque et enlevée d’une touche spirituelle. M. de Thoren, dans le Mois d’août à Trouville, a croqué d’une façon très amusante les baigneuses de Trouville, nageant et sautant à l’envi, et il a eu le bon goût de les peindre toutes fort jolies. M. Kaemmerer n’aime pas les sacrifices. Dans sa Partie de crochet, toutes ses figures en pleine lumière et vêtues de costumes clairs ont la même valeur de ton, ce qui fait naturellement qu’elles paraissent toutes au même plan. Au reste cette gamme de tons clairs vivement éclairés est des plus offensantes pour les yeux ; il faudrait voir ce tableau à travers un verre enfumé. L’appel des balayeurs devant le nouvel Opéra, de M. Gœneutte, révèle un impressionniste tout à fait convaincu : facture lâchée, modelé nul, composition enfantine, couleur terne, figures sans aplomb et fonds sans perspective. Et pas le moindre esprit pour racheter cette triviale, servile et fausse interprétation d’une scène parisienne. La Sortie de Saint-Philippe-du-Roule, de M. Jean Béraud, ne vaut guère mieux. La rue est trop large, c’est une place. Tout est d’un ton faux, car il faut remarquer que plus le peintre veut sortir de la vérité conventionnelle et peindre la vérité absolue, et plus il s’éloigne de la nature qui l’aveugle. L’asphalte a le gris des sables des mers du nord ; cela n’a jamais été un trottoir. Beaucoup de figures ne sont pas à leur place ; il en est de même des maisons qui s’étagent dans la perspective. On doit pourtant reconnaître que M. Béraud pose spirituellement ses personnages et qu’il sait se servir des noirs avec hardiesse et succès ; mais quand ce genre de peinture n’est pas animé par un coloris vif et vivifié par l’air ambiant, en dépit de l’entente pittoresque de la composition, de l’attitude naturelle des figures, de l’aspect plus ou moins discutable de vie et de mouvement, il n’a pas plus de valeur au point de vue de l’art qu’un croquis de l’Illustration. On est tenté de dire avec Diderot : « Petits sujets, petits esprits ; petits peintres, petite peinture. »

Toutefois peut-être préférons-nous encore les impressionnistes, qui ont au moins le mérite de la sincérité, à tous ces petits peintres espagnols qui imitent Fortuny sans s’apercevoir qu’ils sont à l’auteur des Fiançailles ce que les maravédis ou les cuartillos sont au doublon. Rien de plus irritant que ces à-peu-près de peinture ternes par endroits et scintillans par d’autres, que ces figures chiffonnées et bavochées qui ont la précision d’une statuette de neige et la consistance d’une colonne de fumée, que ces couleurs papillotantes piquées au hasard de rehauts de lumière. Nous verrions sans regret