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légèrement inclinée et soutenue par la main gauche, lit dans un livre qu’elle tient à la main droite ; l’autre figure est de profil, le corps droit sur la chaise, les mains posées sur les genoux, écoutant la lectrice. La couleur très sobre, le dessin très précis, le modelé intérieur très ferme, tout est empreint de cette simplicité poussée jusqu’à l’austérité qui caractérise la manière de M. Fantin-Latour. C’est un artiste sincère et puissant, auquel on ne saurait trop rendre justice. Le Déjeuner sous la tente, par Mlle Louise Abbéma, réunit cinq ou six personnages autour d’une table surchargée des reliefs d’un repas. Assez rudimentaire, la composition est un peu théâtrale : c’est ainsi que les acteurs se groupent sur la scène quand ils viennent de manger les poulets en carton du magasin des accessoires. Les grandes feuilles vertes des aloès, des caoutchoucs et autres plantes de serres tranchent crûment avec les vêtemens des convives, éclairés par la lumière diffuse. Aucune figure n’est à son plan. L’enfant en gris et rose du premier plan rentre dans la toile, tandis que deux personnages du troisième plan ressortent en taches noires. Il y a pourtant des qualités de couleur et même de dessin dans cette grande toile, car Mlle Louise Abbéma est une impressionniste qui sait dessiner. C’est en quoi elle se distingue singulièrement dans l’école, car pour les impressionnistes convaincus, c’est l’absence du dessin qui est « la probité de l’art. »


VI

Plus qu’aucune autre, la peinture de genre subit les caprices de la mode. Les sujets qui attiraient le public il y quelques années le laissent aujourd’hui fort indifférent. L’anecdote historique a fait son temps, les néo-grecs s’en vont, comme leurs dieux, les turqueries sont surannées, le sujet sentimental n’a plus d’action, la ferraille moyen âge et la friperie Louis XIII et Louis XV sont démodées. Aussi ne s’arrête-t-on guère devant la Nièce de Don Quichotte, peinture assez froide de M. Comte, ni devant la Charrette de Manon Lescaut de M. Outin, qui est pourtant une pittoresque illustration à la Tony Johannot, avec un frais coloris en plus. On passe rapidement aussi devant la Lecture de M. Plassan, devant la Partie de dés de M. Pascutti, devant la Première prière de Mme Louis Enault, d’un joli sentiment et d’une agréable couleur. On ne donne enfin qu’un regard distrait à la Boutique de draperie au dix-septième siècle de M. Willems, aux Tambours de la république de M. Jiménez, au First engagement de M. Saintain, au Passage d’Espagne de M. G. Colin, et à tant d’autres œuvres intéressantes qui eussent autrefois attiré la foule. C’est surtout devant les petits tableaux que le bon