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parti français, César Frégose. Martin du Bellay, seigneur de Langey, qui tenait le Piémont au nom de François Ier, les mit tous deux en garde contre le marquis du Guast, le gouverneur du Milanais. Le bateau qui portait Rincon et Frégose fut attaqué sur le Pô, et les deux agens français furent massacrés.

François Ier demanda justice de cet attentat au droit des gens ; Charles-Quint arriva à Milan, et le pape évoqua l’affaire devant lui en sa qualité de promoteur de la trêve de Nice. L’empereur comparut en personne devant le pape ; il n’avait point ordonné le crime, et promit de faire justice. Il était sur le point de s’embarquer pour Alger. Au moment où les lys s’alliaient au croissant, il se préparait à porter la croix en Afrique et à délivrer la Méditerranée des pirates qui l’infestaient. On sait l’issue malheureuse de cette noble entreprise ; Charles montra après le désastre son intrépidité calme et sa patience ordinaire : la tempête avait détruit presque toute sa flotte et son armée, il revint presque seul à Carthagène, vaincu, non abattu par la fortune. Il lui fallut tout de suite préparer la guerre sur terre, et de tous les côtés à la fois, en Italie, en Roussillon, dans le Luxembourg, dans le Brabant et la Flandre.

Depuis son retour en Allemagne, le duc de Clèves n’avait cessé de réclamer sa femme, il avait monté sa maison. La jeune princesse s’était retirée à Plessis-les-Tours après la cérémonie. Sa santé était mauvaise, le chagrin lui avait donné la jaunisse ; elle eut ensuite des vomissemens et des hémorragies ; sa maigreur était effrayante. Elle essayait de se prendre d’affection pour le mari qu’on lui avait imposé, et lui écrivait quelquefois : « Et pour ce que celuy qui nous garde c’est Dieu, je vous envoye une ensaigne de l’image de celuy où est notre espérance, vous suppliant l’avoir pour agréable ; ausy j’envoye deux livres d’heures à ma sœur, mademoiselle de Clèves, que je vous prye luy bailler, atandant que moy-mesme luy en porte. » Nous la voyons déjà dévote et cherchant dans les choses saintes une consolation pour les choses terrestres. Elle vivait isolée, loin des intrigues des cours de France et de Navarre. Son père, reparti pour le Béarn, avait rattaché le fil de ses négociations avec Charles-Quint, il se servait toujours de Descurra et avait fait entrer l’évêque de Lescar dans des plans qui ne tendaient à rien moins qu’à ouvrir la Guienne aux armées impériales. Le désastre d’Alger vint déranger ces projets : François Ier, qui avait eu vent des intrigues d’Henri d’Albret, en profita pour engager entièrement le roi de Navarre dans sa cause ; il lui fit les plus belles promesses et envoya le dauphin, avec une belle armée, dans le Roussillon.

La guerre avait partout recommencé ; dans le nord, le duc de Clèves, après de longues hésitations, avait enfin jeté le gant à