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attendre d’un prince occupé de grands intérêts éloignés, et séparé de la Navarre par tout le royaume. « Il vaudrait trop mieux, disent-ils à Henri d’Albret, pour la conservation de votre dict état et de vos dicts subjets, que ledit sieur roi (le roi de France) vous donnast quelqu’ung de son sang que le plus grand prince de la chrétienté. » Ils lui rappellent qu’il n’a jamais voulu chercher d’autre alliance que celle du roi de France, qu’il a été nourri avec lui, qu’il l’a suivi à Pavie et qu’il y a été pris avec lui : « vous aviez bien moyen lors de recouvrer votre royaulme par les offres et promesses qui vous feurent faictes dudict empereur. » Les états de Béarn, on le voit dans cette curieuse remontrance, plus français qu’Henri d’Albret, lui faisaient gloire d’avoir toujours repoussé l’alliance de l’empereur ; ils ne donnaient pas seulement une leçon à leur souverain, ils en donnaient une à François Ier en lui montrant ce qu’il devait à la Navarre. S’ils ne voulaient ravoir la Navarre espagnole que de ses mains, ils croyaient avoir le droit de demander un prince de son sang pour perpétuer la lignée souveraine du Béarn.

François Ier, habitué à commander en maître, ne tint aucun compte de cette remontrance : il était plus ardent au mariage du duc de Clèves que le duc lui-même. Il amena le prince au château de Plessis-les-Tours ; la jeune princesse n’avait encore que treize ans, mais elle montra dès cet âge tendre la ténacité de son caractère. Elle ne voulait pas s’exiler dans le nord ; avec l’adresse d’une femme et d’un enfant, elle pria François Ier de ne point la priver du bonheur de rester dans son royaume. Elle fut doucement intraitable. Le roi se fâcha : elle menaça d’entrer au couvent, de se jeter dans un puits ; François Ier tourna sa colère sur Mme de Lafayette, gouvernante de la princesse, et sur son gendre, M. de Lavedan ; il jura qu’il ferait couper des têtes. Le roi envoya à la jeune princesse le cardinal de Tournon, le maréchal Annebaut, pour la sermonner. Jeanne savait à demi que son père avait d’autres desseins sur elle ; mais elle se sentait délaissée, car Henri d’Albret et la reine Marguerite étaient arrivés et n’avaient pu résister au roi. Chaque jour était une fête nouvelle : le jour même où les fiançailles furent célébrées, Jeanne rédigea une protestation qu’elle fit signer de deux témoins obscurs, familiers de sa maison : « Je désavoue le mariage qu’on veut faire de moy au duc de Clèves… » Le jour du mariage, un peu avant la cérémonie, elle écrivit une nouvelle protestation.

M. de Ruble se demande si ces protestations furent dressées à l’insu de François Ier. « Il y a, dit-il, si peu de franchise dans la politique de ce prince qu’on ne peut percer le mystère. Il est possible qu’elles aient été autorisées par le roi comme un acte de précaution pour le cas où sa politique, qui commandait aujourd’hui l’exécution