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endivisionnées, forment en temps de guerre les corps d’opération ; les secondes, toujours cantonnées dans les lieux où elles se recrutent, doivent en temps de guerre fournir des troupes d’étapes et renforcer les troupes de campagne, ou, en cas de besoin, former de nouvelles brigades, de nouvelles divisions.

Dans un empire comme la Russie, la mobilisation de l’armée présente des difficultés inconnues des états plus petits et à population plus dense ; la grandeur des distances rend la concentration des troupes plus longue et plus dispendieuse. Les ressources de la Russie sont ainsi réduites et paralysées par son étendue même. Aucun état européen n’a autant de peine à ramasser ses forces pour les diriger sur un point donné. On pourrait dire qu’en règle générale les forces disponibles d’un pays sont en raison directe de sa population et en raison inverse de la grandeur de son territoire. Cela est particulièrement sensible en Russie, où la richesse en hommes est en grande partie compensée par la dispersion des habitans et la difficulté de les réunir. Les distances que doit parcourir le conscrit ou le réserviste avant d’arriver au lieu d’incorporation, les distances que doivent franchir les soldats enrégimentés avant de parvenir sur le théâtre des opérations, sont énormes. Ainsi s’explique que dans toutes ses guerres la Russie ait vu ses troupes affaiblies par les marches fondre sur les chemins avant d’être arrivées en présence de l’ennemi.

Aux obstacles dressés par les colossales dimensions de l’empire s’ajoutent en certaines saisons les obstacles apportés par le climat. Les mois les plus défavorables sont les mois de transition, le printemps surtout, quand les fontes de neige rendent le traînage impraticable. Il y a alors des semaines entières où tout transport est impossible, où, avec la meilleure volonté, des hommes rappelés au service ne sauraient rejoindre immédiatement leurs corps. Les mesures administratives les plus précises sont à cet égard impuissantes. On a pu s’en apercevoir l’automne dernier lors de la mobilisation d’une partie des forces russes. Dans les villes et les grands centres, l’opération s’est passée avec une extrême rapidité. Les ordres arrivés le soir étaient exécutés dans la nuit, et les hommes rappelés par le télégraphe se trouvaient réunis à l’aurore. En Russie en effet, dans les provinces occidentales surtout, le rappel des réserves se fait ainsi souvent à l’improviste, de nuit, par surprise, comme si l’on voulait être sûr de ne laisser échapper personne. Par là cette mobilisation précipitée et nocturne peut ressembler à une sorte de presse des soldats comme celle dont use l’Angleterre pour ses matelots. Dans les villes pourvues d’une nombreuse police ou gendarmerie, ce système réussit aisément et donne des résultats surprenans. Dans les campagnes, il n’en peut être de même, il faut