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expédient d’une prorogation nouvelle, bien qu’à la rigueur il restât encore dans la loi, dans la constitution, en prorogeant de nouveau le parlement pour un mois. La question se poserait donc dans toute sa gravité entre le gouvernement et les partis dès la rentrée des chambres, aussitôt après le 16 juin, et, dans la situation créée par l’acte du 16 mai, cette question ne peut être que celle de la dissolution, sur laquelle le sénat aurait tout d’abord à se prononcer. C’est le sénat qui dira le mot décisif. Qu’arriverait-il cependant si, après un examen sérieux, après la discussion approfondie qui ne pourra manquer de s’engager, le sénat se décidait à ne point sanctionner une proposition de dissolution ? Ce serait, dès le premier pas, le désaveu des changemens du 16 mai. Le gouvernement n’en est pas sans doute à prévoir cette éventualité ; il a dû tout calculer, et s’il va jusqu’à proposer la dissolution, c’est qu’il sera, ou il se croira évidemment, en mesure d’avoir une majorité dans la première chambre. S’il y a une raison qui puisse sérieusement peser sur la détermination du sénat, c’est cette considération qu’au point où en sont les choses il ne reste plus qu’un arbitre pour trancher ce dangereux différend, le suffrage universel. C’est le seul moyen de sortir d’une crise inextricable, — voilà vraisemblablement ce que signifiera le vote du sénat.

La dissolution est donc prononcée, nous le supposons, ces préliminaires sont franchis ; mais c’est ici que la vraie question se pose, que tout se complique. En réalité, c’est une lutte engagée entre tous les groupes formant aujourd’hui la majorité républicaine de la chambre des députés et tous les partis plus ou moins conservateurs, impérialistes, légitimistes, etc., appuyés par toutes les influences administratives concentrées autour du scrutin. Deux cas peuvent se présenter. Si ce sont les candidats de la majorité républicaine actuelle qui l’emportent, qui sont réélus, on ne peut se dissimuler que la situation deviendrait singulièrement grave non-seulement pour le ministère qui aurait tenté l’aventure, qui n’aurait plus qu’à disparaître assez piteusement, mais pour M. le président de la république lui-même, qui a été engagé dans ces conflits plus qu’il ne l’aurait fallu et par ses propres déclarations et par les défis imprudens de beaucoup de ses amis. Si c’est le gouvernement qui triomphe aux élections, il se trouvera dans une position qui ne sera pas moins singulière et qui ne sera certes pas des plus rassurantes. Dans tous les cas, d’après les calculs les plus plausibles, il ne pourrait avoir qu’une majorité dont la partie la plus considérable serait bonapartiste. Un ministère présidé par M. le duc de Broglie aurait fourni des recrues à l’empire ! Il ne faut pas regarder si loin, dira-t-on : ce serait une majorité conservatrice, et, les bonapartistes fussent-ils plus nombreux qu’ils ne le sont aujourd’hui, ils n’auraient pas la puissance d’enlever une solution ; ils seraient