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un jour en 1872 qu’il passait sa vie à empêcher les partis de se dévorer. Les partis peuvent oublier un instant de se dévorer quand ils y sont intéressés ; ils reviennent vite à leur naturel implacable, ils ne pardonnent pas à qui ne fait pas leurs affaires. M. le duc de Broglie l’a éprouvé une première fois au 16 mai 1874 en tombant du pouvoir victime de la défection d’une de ces majorités d’artifice. Il est aujourd’hui dans la même situation, aux prises avec les mêmes difficultés, soutenu ou compromis par les mêmes alliés, et naturellement ce que les bonapartistes ont à lui demander pour prix de leur concours, c’est d’en finir au plus vite, de ne pas s’arrêter à de vulgaires détails de légalité, de déblayer en un mot le terrain pour la résurrection de l’empire ; ce que les légitimistes réclament à leur tour, c’est qu’on sache tirer parti de ce qu’on a fait, qu’on ouvre la porte à la « fortune de la France, » et la fortune de la France, c’est la royauté légitime, c’est M. le comte de Chambord. Les uns et les autres veulent des gages, des garanties, des places de sûreté, et au premier refus ils ne laissent pas de devenir hargneux ; déjà ils commencent à gronder et à menacer. M. Jules Simon était accusé récemment d’être le prisonnier de M. Gambetta et des radicaux, parce qu’il y a des radicaux dans la majorité ; M. le duc de Broglie est-il bien sûr de n’être pas le prisonnier de ses alliés bonapartistes ou légitimistes, avec cette différence que ceux-ci ne sont qu’une minorité dans le parlement ?

Chose étrange, c’est pour la sauvegarde des intérêts conservateurs, a-t-on dit, que le 16 mai a été fait : on veut être un gouvernement conservateur ; on veut en même temps rester dans la légalité, ce qui au premier abord semble assez simple pour des conservateurs, et, par la plus bizarre des anomalies, on ne vit que par l’alliance de ceux qui méditent tout haut la ruine de la légalité et des institutions, qui demandent chaque jour à grands cris quand on en finira avec la république ! On prétend apaiser, rassurer le pays en prenant pour auxiliaires tous ceux qui sans se cacher cherchent la réalisation de leurs espérances à travers des crises et des révolutions nouvelles ! Étonnez-vous donc que l’opinion, agitée, émue de tant de reviremens et de combinaisons qui la surprennent, ait de la peine à se reconnaître dans ces confusions, qu’elle reste ébranlée et peu confiante même après le premier moment passé, qu’elle se demande enfin avec une évidente anxiété depuis quinze jours ce qu’on veut faire, où l’on veut décidément en venir !

C’est, nous le savons bien, la fatalité du ministère de n’être pas complètement maître de ses résolutions, d’être réduit à ne décourager aucune espérance parmi ses alliés de la première heure. Il s’est placé dans cette condition. Il a gagné un mois par la prorogation ; il n’a plus maintenant que quinze jours avant le retour des chambres, et il a nécessairement un parti à prendre. Il ne semble pas disposé à recourir à cet