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C’était bien évident : la situation telle qu’elle a été faite par les partis depuis un an, depuis les élections dernières, cette situation n’offrait pas toutes les garanties possibles ; elle était de nature à inquiéter ceux qui la regardaient avec un peu de sang-froid, et les gauches, qui protestent aujourd’hui si vivement, qui laissent éclater leur surprise, devraient se demander si elles n’ont pas contribué elles-mêmes à ce qui leur arrive. On n’a cessé de le leur dire ; on n’a cessé de leur répéter qu’un jour ou l’autre ces emportemens, ces représailles de partis victorieux, ces incohérences, ces puérilités, ces propositions décousues, ces fantaisies agitatrices qui se multipliaient, deviendraient autant de prétextes qu’on exagérerait, dont on se ferait une arme contre la majorité républicaine, contre l’autorité de la chambre. C’était bien simple à prévoir, et les habiles de la gauche ne l’ont pas prévu. Ce n’est point assurément que cette chambre ait fait tout ce qu’on lui reproche. Elle est arrivée à Versailles toute chaude encore d’une lutte ardente, avec les illusions et l’inexpérience d’une assemblée nouvelle ; elle avait, si l’on veut, la jactance de la victoire, l’impatience de se montrer, de déployer son activité républicaine, et en définitive, à voir les choses de près, elle a été généralement plus modérée qu’on ne le croyait. Elle n’a pas consenti à couvrir d’une amnistie les crimes de la commune ; elle ne s’est pas laissé entraîner dans les aventures financières. Lorsqu’on a voulu l’engager dans un conflit avec le sénat au sujet des prérogatives des deux assemblées sur le budget, elle a résisté, elle a évité le conflit. Quand on lui a présenté une proposition qui touchait aux institutions militaires, à la loi de recrutement, elle s’est arrêtée une première fois, et, quand cette proposition a été renouvelée, elle a rencontré sur son chemin la patriotique expérience de M. Thiers, qui ne la laisserait pas passer, qui, hors du pouvoir comme au pouvoir, est toujours le gardien vigilant des intérêts de l’armée. Non sans doute, en réalité, la chambre n’a rien fait de sérieusement menaçant. Elle a fait une chose qui n’est peut-être pas moins dangereuse pour une assemblée : elle a passé son temps à se donner de mauvaises apparences. Sans aboutir le plus souvent à rien d’utile, elle a eu l’air de toucher à tout, de vouloir tout ébranler, et justement à propos de cette loi sur la presse qui a un rôle assez imprévu dans la crise du moment, dont M. le maréchal de Mac-Mahon a cru devoir parler, elle a procédé avec un tel décousu qu’on finit par ne plus se reconnaître dans ce gâchis de propositions, de contre-propositions ou d’abrogations. Le malheur de la chambre a été de ne pas trouver en elle-même les élémens d’un sérieux parti de gouvernement et de ne rien négliger au contraire pour rendre le gouvernement impossible à tous les ministères. C’est là tout ce qu’à produit cette union des gauches qui n’a jamais été qu’une combinaison de circonstance au profit de quelques meneurs ou le masque de l’anarchie dans la majorité.