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Apparemment M. de Bismarck n’avait pas prévu dès le principe la longue durée et toutes les péripéties de la lutte dans laquelle il s’engageait. Il s’était proposé jadis d’appeler M. de Ketteler au siège archiépiscopal de Cologne et de lui conférer la dignité de prince-primat de l’église catholique, servant d’intermédiaire entre Berlin et le Vatican ; il ne soupçonnait pas alors qu’avant peu il citerait devant ses tribunaux tous les évêques prussiens. Il espéra qu’il suffirait de quelques coups d’autorité pour désarmer tous les mauvais vouloirs, pour faire plier toutes les têtes rebelles. Un jour, dans une séance du parlement, le centre ultramontain lui causa par ses chicanes un vif mouvement d’irritation ; les mouches ultramontaines s’entendent à piquer, et M. Windthorst est un taon d’une assez belle taille. L’un des confidens intimes du chancelier, M. de Keudell, aujourd’hui ambassadeur en Italie, crut devoir avertir charitablement un de ses amis catholiques en lui disant : « Prenez-y garde, ne poussez pas à bout le chancelier, vous ne vous doutez pas des mesures qu’il est capable de prendre contre vous. » Rome ne céda pas, et la vivacité de l’attaque s’accrut avec l’opiniâtreté de la résistance. L’étranger qui se permettait de donner des ordres dans la maison de M. de Bismarck avait fait depuis peu proclamer son infaillibilité par un concile. Rien n’est plus agaçant, rien n’est plus irritant qu’un ennemi qui a la prétention de ne pouvoir se tromper.

A ceux qui lui rappelaient qu’il avait été jadis un chaud partisan de la paix religieuse, M. de Bismarck répondait : « Il est possible que j’aie changé, mais je n’ai jamais eu honte de modifier mes opinions chaque fois que les circonstances m’ont amené à reconnaître que les choses ne peuvent pas aller comme je le voudrais. Il serait injuste d’exiger de moi pendant un quart de siècle une opinion absolument invariable. Depuis que je suis ministre, j’ai appris à subordonner aux besoins de l’état mes convictions personnelles. » Il ajoutait que, si sa politique ecclésiastique avait changé, c’était la conséquence du changement qui s’était fait dans l’église elle-même, depuis qu’elle avait adopté un nouveau dogme qui modifiait profondément ses relations avec la puissance civile. Dès le 14 mai 1872, il avait écrit dans une dépêche confidentielle adressée au comte Arnim que les décisions du dernier concile avaient eu pour effet de substituer partout le pouvoir pontifical à la juridiction épiscopale, que les évêques n’étaient plus que des instrumens, des agens sans responsabilité propre, qu’ils étaient devenus à l’égard des gouvernement « les fonctionnaires d’un souverain étranger et d’un souverain qui, en vertu de son infaillibilité, est un monarque absolu, plus absolu qu’aucun autre monarque de la terre. » Le 17 décembre 1873, il disait à la chambre des députés : « C’est une situation fort grave que nous a faite le concile du Vatican. Désormais nous ne pouvons édicter aucune loi sans qu’elle ait reçu l’approbation du pape, ou tout au moins on nous conteste le droit d’édicter une loi que le pape a condamnée.