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contrairement aux prédictions des philosophes, des libéraux, des économistes, nous assisterions à une recrudescence des passions religieuses, et que la théologie jouerait de nouveau un grand rôle dans les affaires de l’Europe. C’est une guerre sainte, c’est une croisade que fait aujourd’hui la Russie sur les bords du Danube ; du moins elle nous défend d’en douter, elle n’admet pas que nous la soupçonnions de mêler des arrière-pensées de conquête au zèle qu’elle déploie pour ses coreligionnaires qui gémissent sous le joug du croissant et pour les intérêts de la sainte église orthodoxe. En Occident, grâce à Dieu, on ne se bat pas, mais on se dispute beaucoup. A Rome comme à Madrid, à Genève comme à Berlin, les questions ecclésiastiques sont sur le premier plan, et la politique européenne menace de revêtir un caractère confessionnel qu’elle n’avait pas eu depuis le XVIe siècle. Le fanatisme est un revenant, et ce revenant est parfois embarrassé de sa personne ; il se sent désorienté, dépaysé dans une société renouvelée par les idées de 89, il se doute qu’il s’est trompé de siècle, qu’il a mal choisi son heure pour reparaître parmi les vivans ; mais il ne laisse pas de payer d’audace, il soutient que la maison est à lui, que c’est à la révolution d’en sortir. C’est une erreur en politique de ne pas croire aux revenans, et c’est une imprudence de ne pas compter avec eux.

Le pape Pie IX disait l’autre jour aux pèlerins allemands qui étaient venus déposer à ses pieds leurs hommages et leurs présens : « votre nation, mes très chers fils, a été autrefois sujette à de graves maladies morales que le monde connaît et que vous-mêmes vous détestez. » De quelle maladie morale voulait parler le saint-père ? Apparemment il faisait allusion à cet esprit de tolérance qui, sous l’influence de la philosophie, s’était répandu de proche en proche dans toute l’Allemagne, contagion funeste dont les catholiques eux-mêmes n’avaient pas su se défendre. La tolérance est fille de la tiédeur, et elle produit l’indifférentisme, qu’un autre pape flétrissait jadis, en le traitant « d’opinion perverse d’après laquelle on pourrait acquérir le salut éternel par quelque profession de foi que ce fût, pourvu que les mœurs fussent droites et honnêtes. » Pie IX a expliqué aux pèlerins, qui ne demandaient qu’à l’en croire, que Dieu s’occupe toujours de guérir les nations malades, et que pour les sauver « il leur parle tantôt avec un accent plein de suavité qui pénètre dans le cœur, et tantôt comme un aquilon, furieux ; » puis, tournant le doigt vers Berlin et appelant l’ennemi par son nom, il ajoutait : — « J’ai entendu dire à d’honnêtes et bons catholiques prussiens qu’il était nécessaire que quelqu’un vînt pour réveiller les peuples trop abandonnés à l’inertie. Eh bien ! Dieu s’est levé, et il a envoyé un fléau comme il avait fait il y a tant de siècles. Alors il fit paraître un Attila pour réveiller les peuples, et aujourd’hui c’est par le moyen d’un nouvel Attila qu’il a réveillé la généreuse nation germanique. Ce nouvel Attila, qui croyait détruire, a édifié ; ce nouvel Attila, qui voulait par