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voix l’appelle : cette voix « avait l’intonation haute d’une cloche d’église. » Le vent souffle et les flots font rage : c’est un lépreux qui veut passer l’eau. Le lépreux entre dans la cabane. Il a faim, et Julien lui donne à manger ; il a soif, Julien lui donne à boire ; il a froid, Julien allume du feu ; il veut dormir, et Julien le met dans son lit, il se couche à côté de lui, le réchauffant de son corps « et s’étalant dessus complètement, bouche contre bouche, poitrine contre poitrine. » Le lépreux, c’est Jésus-Christ, et le toit s’envole, et le firmament se déploie, et Julien « monte vers les espaces bleus. » — « Et voilà l’histoire de saint Julien l’Hospitalier, telle à peu près qu’on la trouve, sur un vitrail d’église, dans mon pays. » Et voilà ce qu’on appelle aujourd’hui le dernier mot de l’art. Le moyen âge était un peu usé, il avait tant servi ! Je doute que la Légende de saint. Julien l’Hospitalier le rajeunisse et le remette en faveur. Il faut croire à l’histoire du Bienheureux Labre pour oser la raconter ; Et vraiment, si M. Flaubert n’a pas voulu railler ou soutenir quelque gageure, c’est bien ici la plus singulière erreur d’artiste qu’il eût encore commise.

L’histoire d’un Cœur simple nous rappelait Madame Bovary : c’est à Salammbô que nous ramène Hérodias, fantaisie d’érudition sur un sujet bien connu des peintres, variations d’un très savant homme sur la décollation de saint Jean-Baptiste. Évidemment cette antiquité sémitique et ce monde oriental, ces Iaokanann et ces Schahabarim, les syssites de Carthage et les marins d’Éziongaber, ces oripeaux voyans et barbares, « les caleçons bleus étoiles d’argent » et les « caleçons noirs semés de mandragores ; » ces régals carthaginois, « les langues de phénicoptères avec des graines de pavot assaisonnées au miel, » et cette cuisine juive, « les loirs, les rossignols, les hachis dans des feuilles de pampre, » tout cela, tout ce bibelot, comme l’appela Sainte-Beuve en un jour de justice, évidemment séduit, fascine et tient M. Flaubert en arrêt. Une fois peut-être cette ambition d’évoquer de leur cendre les civilisations éteintes et de faire revivre les races disparues pouvait tenter la curiosité d’un artiste et solliciter l’imagination d’un archéologue inventif ; mais deux fois, mais trois fois, c’est passer la mesure. C’était assez de Salammbô, c’est trop d’Hérodias. Le galbanum et le cinnamome, les « vasques de porphyre » et les « colonnes en bois d’algumim » pouvaient une fois surprendre et amuser le lecteur : c’est lui supposer une patience à l’épreuve, un excès de complaisance et de naïveté, de croire qu’il y prendra deux et trois fois plaisir.

L’érudition n’est pas toujours et partout à sa place. Quelques détails d’une authenticité certaine et beaucoup de conjectures, d’ailleurs généralement probables, ne font pas après tout que les Hamilcar et les Salammbô, les Hérode et les Salomé aient meilleure figure dans les romans de M. Flaubert que les Cyrus et les Onésile ou les Intapherne et